On célèbre souvent Bitcoin comme une révolution « décentralisée ». Mais derrière le slogan, la réalité des chiffres donne le vertige : une poignée d’acteurs contrôle une part disproportionnée de l’offre. À la mi-2025, les baleines — ces adresses détenant au moins 1 000 BTC — totalisent environ 6,4 millions de BTC, soit près d’un tiers de tous les bitcoins.
Une concentration bien plus brutale que pour le patrimoine non crypto
Les chiffres planétaires donnent le tournis : les 1 % les plus riches possèdent 44 % du patrimoine privé mondial. Mais pour ce qui concerne le Bitcoin, on parle de ≈ 1 900 à 2 000 adresses seulement qui détiennent un tiers de la masse. Rapporté au nombre total d’adresses avec un solde positif (de l’ordre de dizaines de millions), cela représente à peine ~0,003–0,004 % des adresses, soit une baleine pour ~25 000 à 30 000 adresses.
Si l’on raisonne en personnes (estimations courantes de 120 à 200 millions de détenteurs de BTC dans le monde, via bourses, ETF et self-custody), la proportion devient encore plus infime : ≈ une baleine pour 60 000 à 100 000 détenteurs. Une micro-minorité, donc… qui pèse très lourd.
SponsoredLe rôle amplificateur des ETFs et des Treasury Companies
La concentration ne s’arrête pas là. Côté entreprises, environ 150 sociétés (cotées et privées) détiennent du bitcoin en trésorerie, pour un peu plus de 1,4 million de BTC — 6–7 % de l’offre totale. Ce basculement « corporate » retire mécaniquement des pièces du marché quotidien et immobilise une partie de l’offre dans des coffres professionnels. Autre pôle : les ETFs spot (principalement aux États-Unis), une douzaine de fonds qui concentrent ≈ 1,36 million de BTC (encore 6,5–7 %).
Juridiquement, ces bitcoins sont détenus par quelques entités ; économiquement, ils représentent des centaines de milliers voire des millions d’épargnants. L’emballage est concentré, la propriété ultime plus diffuse — mais cela ne supprime pas le risque de point de défaillance (concentration de garde, incident opérationnel).
Pourquoi cette concentration s’accentue-t-elle ? D’abord parce que Bitcoin récompense la patience : les acteurs les mieux capitalisés achètent pendant les creux, gardent sur les cycles et renforcent quand les mains faibles cèdent. Ensuite parce que l’accès s’est institutionnalisé : ETFs, dépositaires et services « clé en main » aspirent de l’offre dans des structures professionnelles. Enfin, parce que l’offre est inélastique : 21 millions au maximum. Quand les gros accumulent, le public se partage le reste, ce qui creuse l’écart entre poids dans l’offre et poids démographique (on l’a vu : 0,003–0,004 % des adresses captent ~33 % des jetons).
La concentration peut-elle tuer le réseau ?
Oui, pour au moins trois raisons.
Un : la concentration accroît le risque de mouvements brusques si quelques poches vendent (trésorerie, compliance, gouvernance).
Deux : elle rend la découverte des prix plus sensible aux décisions d’un petit nombre d’intermédiaires (grands fonds, grands dépositaires, grandes bourses).
Trois : elle nourrit une inégalité d’accès au temps long ; les particuliers subissent le court terme, tandis que les baleines arbitrent à l’échelle pluriannuelle.
Mais il existe aussi des nuances. Les ETFs démocratisent l’accès (comptes-titres/épargne), même si la garde est mutualisée. Les entreprises au bilan « bitcoin » normalisent l’actif et imposent des standards (procédures, audits, assurance). Et surtout, la traçabilité on-chain permet de voir cette concentration — ce que d’autres classes d’actifs n’offrent pas aussi clairement. Autrement dit, l’asymétrie n’est pas nouvelle dans l’histoire financière ; la nouveauté ici, c’est qu’on peut la mesurer et la surveiller quasi en temps réel.
La morale de l’histoire: Ne soyez pas étonnés si vous ne connaissez personne qui soit riche grâce au Bitcoin, c’est vingt fois plus rare qu’un trèfle à quatre feuilles.