Vendredi 10 octobre 2025 a laissé une odeur de soufre. Pendant que le Nasdaq dévissait, la crypto a connu sa plus grosse vague de liquidations de l’histoire récente — environ 19 Md$ effacés en 24 h, avec des pics à plusieurs milliards par heure. Parmi les plateformes les plus touchées : Hyperliquid, dont l’écosystème de dérivés on-chain a vu s’évaporer plus d’un milliard de capital de traders et plus de 6 300 portefeuilles mis KO. Les dépêches l’ont écrit sans fard : « record-breaking liquidation event ».
Ce chaos n’est pas né dans le vide. Le choc politique — l’annonce américaine de tarifs de 100 % visant la tech chinoise — a déclenché un risk-off instantané sur les actifs sensibles à la croissance, crypto comprise. Dès le lundi suivant, les mêmes médias notaient que la rhétorique présidentielle s’était « adoucie », favorisant un rebond des cours… et relançant le débat sur des comportements de trading “opportuns” autour de grandes annonces publiques.
Hyperliquid : vagues de baleines, bain de sang pour le reste
Les chiffres sont têtus : > 1,2 Md$ de pertes agrégées sur Hyperliquid, au cœur d’un cataclysme marché à ~19 Md$ de liquidations. Dans le même flux d’actus, plusieurs médias ont relevé des positions monstrueuses parfaitement “timées” : un « whale » aurait clos la majorité de ses shorts BTC et 100 % de ses shorts ETH juste avant la dégringolade, encaissant ~150–200 M$ en une journée. Le même acteur aurait ensuite remis ça avec une nouvelle position short à ~160 M$.
SponsoredFaits établis : de tels paris ont bel et bien existé et ont été publiquement repérés on-chain. Ce qui reste à établir, c’est ce que ces acteurs savaient au moment d’appuyer sur « vendre ». Dans tous les cas, l’odeur de privilège informationnel est là — et c’est suffisant pour réclamer mieux que le statu quo.
Qu’on ne s’y trompe pas : l’histoire des baleines Hyperliquid n’a pas commencé ce week-end. Au printemps, la communauté suivait déjà des comptes ultra-leviérisés dont les liquidations à 9 chiffres faisaient la une, preuve que le risque de marché se concentre dans quelques mains capables de déplacer la mer. Ces épisodes montrent une chose : sans garde-fous, l’on-chain perps devient le Far West où gagnent surtout les mieux renseignés et les mieux câblés.
« Or digital » ? Non : actif pro-cyclique ultra-financiarisé
Ce 10 octobre a aussi torpillé un mythe confortable : la crypto comme pare-chocs. L’or a joué son rôle de refuge au pic d’aversion au risque, puis a consolidé. La crypto, elle, a amplifié la jambe baissière de la tech — au point que des éditos mainstream se sont demandé si « l’or digital » n’était pas d’abord un actif de croissance à levier, piloté par l’effet de marge et l’open interest. Les chiffres de liquidations parlent d’eux-mêmes.
Le vrai problème : asymétrie d’information + vitesse = rente d’insider
Appelons un chat un chat : l’égalité d’accès à l’info n’existe pas lorsque des décisions politiques majeures (tarifs, sanctions, licences d’export) bougent le marché, et que des positions colossales surgissent minutes avant. Est-ce un délit d’initié ? On n’en sait rien à ce stade — et c’est précisément le scandale : nous n’avons pas les outils pour le savoir vite et bien.
Tant que l’infrastructure de marché tolère l’opacité sur les grands comptes, tolère des leviers à 10x–50x sans circuit-breakers coordonnés inter-plateformes et ne journalise pas les flux à une granularité utile aux enquêteurs, les insiders auront une longueur d’avance.
Sponsored SponsoredCe qu’il faut faire (maintenant), sans tuer l’innovation
1) “Consolidated Audit Trail” crypto-dérivés, multi-juridictions
Un journal unifié, horodaté en millisecondes, obligatoire pour toutes les plateformes offrant des perps/futures aux résidents des grands marchés, avec accès régulateur quasi-temps réel. C’est le minimum pour vérifier qui a pris quoi, quand. (Les analyses post-crash d’entreprises d’intégrité de marché montrent qu’on sait agréger après coup — il faut le faire en continu.)
2) Déclaration “Large Trader” et seuils d’alerte on-chain
Imposer un reporting des expositions nettes au-delà de seuils (par actif et par bourse), on-chain pour les venues on-chain, off-chain signé pour les CEX. Les régulateurs doivent recevoir des alertes automatiques quand un acteur dépasse un ratio de taille/volatilité dangereux.
3) Pare-feu autour des annonces publiques
Interdire (ou flagger pour contrôle renforcé) toute variation d’exposition > X sur une fenêtre T-60/T+60 minutes autour d’une annonce gouvernementale matérialement sensible (tarifs, embargos, décisions judiciaires majeures). Et étendre aux crypto-dérivés l’interdit d’utiliser informations confidentielles d’État ou d’y inciter.
Sponsored4) Règles de surveillance & manip. harmonisées
Exiger de toute plateforme un manuel de surveillance partagé (wash trading, spoofing, layering, quote stuffing), des coupures de levier dynamiques lors des chocs (circuit-breakers graduels), et des tests de crise trimestriels de leur risk engine. Oui, Hyperliquid et consorts peuvent innover — mais pas sans ce garde-fou.
5) Programme lanceurs d’alerte & sanctions dissuasives
Récompenser ceux qui apportent preuves d’abus (incitations financières, protection juridique), et publier les sanctions pour éduquer le marché. Les « baleines » honnêtes n’ont rien à craindre d’un miroir propre.
6) Transparence des positions agrégées
Publier quotidiennement par actif : open interest, levier moyen estimé, répartition taille de compte. Les investisseurs de détail doivent voir venir le mur de liquidations.
Sponsored Sponsored« Mais et les Trump ? »
Soyons clairs : accuser nommément des personnalités d’avoir profité illégalement d’informations sans preuve publique vérifiée serait irresponsable. En revanche, les faits documentés suffisent à poser la question politique : quand une annonce présidentielle fait bouger des milliards et que des baleines placent des paris gagnants juste avant, que fait la régulation ? La presse grand public a d’ailleurs pointé, dès le lundi, la volatilité “à la rhétorique” (durcissement puis adoucissement) et les soupçons sur des comportements opportunistes. Cela ne prouve rien contre telle personne ; cela prouve que le dispositif actuel autorise ces soupçons à prospérer.
Le jour d’après : or, bitcoin, et confiance
La confiance, c’est une chaîne logistique de preuves. L’or l’a rappelé : en choc exogène, il absorbe. Le bitcoin, lui, a amplifié — avant de rebondir quand la parole politique s’est radoucie. Tant que la crypto restera ultra-financiarisée, sujette au levier et à l’info asynchrone, elle ne sera pas un hedge mais un pari (légitime) à haut risque. On peut aimer la techno et exiger que le terrain de jeu cesse de récompenser d’abord les mieux branchés.
Conclusion
Le 10 octobre 2025 ne prouve pas que « la crypto est mauvaise ». Il prouve que sans transparence structurelle, les insiders gagnent à pile ou face et le public finance les jackpots. Un audit trail consolidé, des règles de surveillance sérieuses, des seuils de déclaration et des pare-feu autour des annonces publiques ne tueront pas l’innovation ; ils la rendront crédible. Tant que ce n’est pas fait, la réponse à la question du jour reste cinglante : oui, le marché sert encore surtout à remplir les poches de ceux qui voient (ou entendent) avant vous. Et tant qu’on se contentera d’articles indignés, rien ne changera.
La morale de l’histoire : Pour la crypto, c’est réguler ou mourir.