Au printemps 2025, un fonds émirati lié au pouvoir d’Abou Dhabi (MGX) annonce qu’il utilisera le stablecoin USD1, émis par World Liberty Financial (WLF) — l’entreprise crypto de la famille Trump et de ses partenaires — pour clore un investissement de 2 milliards de dollars dans Binance. Deux semaines plus tard, Washington s’accorde en principe pour laisser les Émirats importer jusqu’à des centaines de milliers de puces Nvidia de pointe par an, malgré des inquiétudes de sécurité nationale déjà documentées autour de l’écosystème IA émirati.
L’enquête du New York Times du 15 septembre 2025 met ces deux “méga-deals” en regard et s’interroge sur leurs interactions.
Ni le New York Times ni Reuters n’affirment juridiquement un « pot-de-vin ». Le NYT décrit une proximité temporelle et une convergence d’intérêts qui posent des questions éthiques et politiques. Des élus demandent des explications et des documents.
Acte I — La caisse crypto de la famille Trump
Qui est WLF ?
SponsoredCréée en 2024, World Liberty Financial se présente comme une plateforme DeFi liée publiquement à la famille Trump (Eric Trump, Donald Trump Jr., etc.). Elle a émis le jeton $WLFI et, en mars 2025, a annoncé un stablecoin dollar USD1 adossé à bons du Trésor US et cash.
Selon l’enquête du NYT, une entité de la Trump Organization détient une participation majoritaire et capterait une part significative des revenus de ventes — un montage qui a suscité de vives critiques d’éthique politique.
Le “coup d’accélérateur” émirati
Le 1er mai 2025, à la conférence Token2049 (Dubaï), Zach Witkoff (cofondateur WLF, fils de Steve Witkoff, émissaire de la Maison-Blanche au Moyen-Orient) annonce que USD1 a été “sélectionné” comme stablecoin officiel pour clore 2 milliards de dollars d’investissement d’MGX dans Binance. Reuters, ABC News, The Guardian et d’autres confirment l’annonce publique ; le Sénat américain demandera ensuite des comptes à WLF, MGX et Binance.
À quoi sert un stablecoin dans ce montage ?
Un stablecoin sert ici de pont pour déplacer rapidement des dollars tokenisés entre entités et juridictions, avec traçabilité on-chain mais opacité possible sur les bénéficiaires économiques réels des entités. Dans une structure où l’émetteur (WLF) et ses ayants droit privés perçoivent des revenus (intérêts sur réserves, frais), plus le volume passe par USD1, plus la “caisse” grossit. C’est l’enjeu qui motive les demandes d’information au Congrès.
Réactions et mises au point
Des élus démocrates (Warren, Merkley) réclament la préservation des communications entre WLF, la Maison-Blanche et les régulateurs. WLF répond publiquement à d’autres polémiques en niant « vendre des tokens » au marché (« gestion de trésorerie », dit-elle), et vante la transparence d’USD1. (Ces éléments ne disculpent ni n’incriminent : ils montrent une bataille narrative en cours.)
Acte II — Les Émirats et les puces Nvidia : un feu vert américain
Le pivot IA des Émirats, sous haute surveillance
Depuis 2024, la G42 (conglomérat IA d’Abou Dhabi, présidé par Tahnoun bin Zayed, conseiller à la sécurité nationale) a noué un partenariat stratégique avec Microsoft (1,5 Md$ d’investissement, siège au conseil). Washington a salué le désengagement de G42 de Huawei tout en gardant des réserves : risque de transferts de techno vers la Chine, respect des licences d’export, gouvernance des data centers.
Mai 2025 : ouverture des vannes sur les puces
Sponsored SponsoredLes 13–14 mai 2025, Reuters rapporte que l’administration américaine est prête à laisser l’UAE importer jusqu’à 500 000 des puces IA Nvidia les plus avancées… par an, de 2025 à 2027, assouplissant de facto des limites héritées de l’ère précédente. Objectif officiel : ancrer l’UAE dans l’orbite techno américaine et booster ses capacités IA — tout en gardant des garanties contre d’éventuels reflux vers la Chine.
La controverse
Des élus et des experts jugent que la quantité de puces et la vitesse du feu vert posent question. D’autant que, moins d’un an plus tôt, les mêmes autorités s’inquiétaient d’un risque de fuites technologiques au sein de l’écosystème émirati. Le NYT relie cette accélération à l’intensification des liens d’affaires privés entre l’entourage présidentiel américain et des entités publiques ou para-publiques émiraties.
Acte III — Deux méga-deals, une chronologie troublante
- 1er mai 2025 : au grand jour, USD1/WLF est “choisi” par MGX (fonds adossé à Abou Dhabi) pour clore 2 Md$ d’investissement dans Binance. La communication émane d’un cofondateur de WLF sur scène, et sera répercutée par multiples médias.
- 13–14 mai 2025 : selon Reuters, Washington est tout près d’un accord permettant aux Émirats d’importer des centaines de milliers de puces Nvidia haut de gamme chaque année. L’argument officiel combine réalignement géopolitique (éloigner la Chine) et interdépendance technologique.
- 27 juin 2025 : Reuters signale qu’un fonds UAE a acheté 100 M$ de jetons WLF, tandis que la narration pro-WLF insiste sur un écosystème en expansion (intégration à Tron, listage envisagé, etc.).
- 15 septembre 2025 : le New York Times publie « Anatomy of Two Giant Deals: The U.A.E. Got Chips. The Trump Team Got Crypto Riches », racontant, documents et témoignages à l’appui, la proximité temporelle et politique des 2 Md$ vers USD1/WLF et du feu vert américain pour les puces Nvidia. Le papier en ligne est difficile d’accès hors abonnement, mais il circule via archives et agrégateurs.
Ce que le NYT allègue : un enchevêtrement d’affaires privées (WLF, USD1, revenus potentiels pour la famille Trump) et de décisions publiques (export/licences de puces) profitables aux Émirats, présentées comme stratégiques. Ce que le NYT n’affirme pas : l’existence d’un “pot-de-vin” au sens pénal ; l’article parle d’un système qui « efface la frontière entre intérêts privés et politiques publiques ».
Comment USD1 crée de la valeur (et pourquoi cela interroge)
Un stablecoin adossé à des bons du Trésor produit des intérêts sur les réserves. Selon la documentation publique, USD1 est pleinement collatéralisé et indexé 1:1 avec le dollar via du cash/UST. Si 2 Md$ transitent et/ou stationnent sur les comptes de réserve pendant la finalisation d’un deal, les intérêts (et des frais) s’accumulent.
Si, comme le rapporte le NYT, la famille Trump détient une grosse part des revenus, la monétisation devient directe. C’est la mécanique économique au cœur des questions éthiques soulevées par des élus.
Sponsored« Quid pro quo » ? Ce que disent les sources, ce que personne n’a formellement établi
- Éléments factuels
– Annonce publique : USD1 « choisi » pour 2 Md$ d’investissement d’MGX dans Binance.
– Négociation/accord de principe de Washington pour des centaines de milliers de puces Nvidia par an pour l’UAE.
– Achats supplémentaires d’actifs WLF par des acteurs UAE. - Allégations & interprétations
– Le New York Times place ces événements dans une narration commune et évoque des conflits d’intérêts massifs.
– Des médias et ONG parlent d’« incroyable corruption » ; c’est une qualification politique, pas un jugement de tribunal. - Défenses & contre-points
– WLF met en avant conformité et transparence d’USD1, et nie des ventes opportunistes de jetons.
– Côté politique industrielle, l’argument américain est qu’intégrer l’UAE dans l’orbite US (Microsoft–G42, Azure, contrôles) réduit l’emprise chinoise — et que l’export sous licence des puces encadre mieux l’IA au Moyen-Orient.
Conclusion provisoire : l’enchaînement des décisions est avéré ; leur nature juridique (corruption, trafic d’influence) n’est pas tranchée. C’est précisément pour cela que le Congrès réclame courriels, contrats et registres.
Pourquoi les puces IA sont la nouvelle « arme stratégique »
Les GPU haut de gamme (Nvidia H100, H200, et successeurs) sont la ressource critique de l’ère IA : ils fondent la puissance de calcul pour entraîner des modèles. Contrôler leur flux (licences, quotas, “us persons”, audits) est devenu un levier géopolitique. Autoriser l’UAE à en importer massivement a deux lectures :
- Sécuriser un partenaire clé sous surveillance américaine (contrôle d’accès, Azure, audits).
- Prendre un risque de re-exportation indirecte vers des acteurs chinois via chaînes industrielles et partenariats. Les deux lectures coexistent dans les dépêches et commentaires.
Les liens personnels et diplomatiques qui dérangent
Le NYT et d’autres médias relèvent l’hyper-personnalisation des canaux : rôle de Steve Witkoff (mandaté diplomatiquement au Moyen-Orient tout en étant co-père du projet WLF via son fils), proximité avec Tahnoun bin Zayed, et showcases lors d’événements à Dubaï où politique et business s’entremêlent.
Là encore, l’illégalité n’est pas établie ; mais le mélange des genres stupéfie même des observateurs habitués aux zones grises de la diplomatie économique.
Sponsored SponsoredPourquoi cette histoire est emblématique (au-delà de Trump)
- Tokenisation du pouvoir : quand des acteurs politiques créent leurs propres instruments financiers (stablecoins), toute décision publique susceptible de gonfler le volume de ces instruments devient suspecte, même si elle est justifiable par ailleurs.
- Géo-IA : la course aux GPU rebat les cartes. Les alliés veulent des puces. Les États-Unis veulent des engagements (no China). Entre les deux, un espace propice aux quiproquos et aux marchandages réels ou perçus.
- Régulation crypto : chaque stablecoin “souverain” de fait (adossé au Trésor US, utilisé par des fonds d’État étrangers) soulève la question : qui encaisse la marge ? Avec **quelles obligations de déontologie publique si les bénéficiaires sont famille(s) au pouvoir ? (AP News)
Foire aux questions (sans langue de bois)
Est-il “prouvé” qu’il y a eu pot-de-vin ?
Non. Ce qui est documenté : un investissement via USD1 (2 Md$) et un feu vert américain sur des puces IA dans un laps de temps très court ; des intérêts financiers directs pour la famille Trump via WLF/USD1 ; des évaluations critiques d’élus et d’analystes ; et l’ouverture d’un front politique au Congrès pour obtenir les documents. Aucune autorité n’a à ce stade qualifié pénalement la séquence.
Pourquoi MGX aurait-il besoin d’USD1 (et pas d’USDC/USDT) ?
C’est précisément une question-clé des critiques : choisir USD1, stablecoin d’une famille au pouvoir, crée un bénéfice privé pour cette famille. MGX n’a pas livré publiquement de motif technique détaillé ; les annonces se bornent à dire qu’USD1 a été “sélectionné”.
Et les puces Nvidia ?
Les licences d’exportation sont politiques autant que techniques : elles s’inscrivent dans une stratégie américaine pour arrimer l’UAE (G42/Microsoft) et évincer la Chine des chaînes IA régionales. Reuters détaille cette ambivalence depuis 2024.
Ce qu’il faut surveiller maintenant
- Les réponses à la demande de documents (WLF, MGX, Binance) ; toute discordance renforcera les soupçons d’échanges de faveurs.
- Les clauses finales des licences d’export de GPU (contrôles d’accès, audits, “no-China” stricts) et leur mise en œuvre concrète.
- Les flux sur USD1 (réserves, dépositaires, intérêts). Des réserves plus grasses = plus de revenus pour l’émetteur.
Dernier mot
Le scandale, s’il doit être juridique, viendra des preuves (mails, contreparties, instructions), pas des soupçons. En revanche, le scandale politique — l’effacement de la frontière entre intérêt public (puces IA, stratégie techno) et intérêt privé (stablecoin familial) — est déjà sur la place publique. L’enquête du New York Times a fourni la trame ; les dépêches de Reuters, FT, AP, ABC News et les requêtes du Sénat en fixent les jalons vérifiables. La suite dépendra d’une chose simple : la lumière.
La morale de l’histoire: Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup