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Web3 et loteries publicitaires, tour d’horizon juridique et fiscal

8 mins
Mis à jour par Célia Simon
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EN BREF

  • Les avocates Margaux Frisque et Stéphanie Némarq-Attias se penchent sur la position juridique des loteries crypto. 
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Margaux Frisque, avocate associée chez d&a partners et Stéphanie Némarq-Attias, avocate au barreau des Hauts-de-Seine, se penchent sur la position juridique des loteries crypto. 

Dans la grande famille des jeux était la loterie publicitaire ! Aujourd’hui, on ne joue plus simplement pour gagner des gadgets « made in China » et les acteurs du Web3 misent gros sur ces opérations de promotion pour lancer une vente de NFTs ou la version 2.0 d’une plateforme d’échange.

Les règles sont néanmoins strictes en matière de jeux, la prudence est donc recommandée pour les entreprises comme pour les participants, notamment vis-à-vis de l’administration fiscale en cas de gain. Retour sur les contours de ce sujet résolument business, sous l’angle du droit de la consommation et du droit fiscal. 

Comment organiser une loterie publicitaire dans le Web3 ? 

La terminologie en la matière n’aide personne à y voir clair : jeux en ligne, jeux d’argent, concours, loterie commerciale, loterie publicitaire… Profitons-en pour mettre de l’ordre parmi ces concepts. 

En droit français, comme dans de nombreux pays, rappelons la règle d’or : les jeux d’argent et de hasard sont prohibés. 

Le Code de la sécurité intérieure rappelle le triptyque bien connu en la matière : sont réputés jeux d’argent et de hasard et interdits comme tels toutes opérations (1) offertes au public, sous quelque dénomination que ce soit, pour (2) faire naître l’espérance d’un gain qui serait dû, même partiellement, au hasard et pour lesquelles (3) un sacrifice financier est exigé de la part des participants.

Mais quelles sont les exceptions à cette prohibition ? Elles sont listées à l’article L 320-6 du Code de la sécurité intérieure. 

Ce texte vise notamment les « opérations publicitaires » mentionnées à l’article L 121-20 du Code de la consommation. 

Une opération promotionnelle gratuite et aléatoire 

Ledit article L. 121-20 du Code de la consommation, figurant au chapitre des « pratiques commerciales interdites », définit une loterie publicitaire comme une opération promotionnelle, mise en œuvre par un professionnel à l’égard des consommateurs, tendant à l’attribution d’un gain ou d’un avantage par la voie d’un tirage au sort, quelles qu’en soient les modalités, ou par l’intervention d’un élément aléatoire.

Pour être autorisées, une loterie doit impérativement respecter certaines contraintes. 

Elle doit nécessairement être initiée à l’occasion de la promotion d’un bien ou d’un service. Son objectif est d’attirer de la clientèle autour du produit objet de la promotion. 

Depuis une réforme conduite en 2014, l’interdiction d’une contrepartie financière ou d’une dépense sous quelque forme que ce soit a été supprimée. Si bien que l’organisateur de la loterie peut valablement lancer le tirage avec obligation d’achat d’un NFT, d’une parcelle (land) dans un Metaverse.

Cependant, la participation au jeu ne doit pas être payante en elle-même. Il est interdit de demander au joueur une participation financière en contrepartie de l’obtention de son gain.  

Le paiement du joueur doit porter uniquement sur le produit ou le service dont il est fait promotion, mais non sur l’accès au jeu publicitaire qui doit rester totalement gratuit

Attention donc aux frais de gas (en anglais gas fees), au moment où le participant récupère son lot sur la blockchain.  

Enfin, rappelons que l’aléa est au cœur de ce dispositif. Les concours publicitaires sont donc exclus dans la mesure où ils attribuent un gain non pas de façon aléatoire mais en fonction des facultés ou de l’adresse des joueurs (en anglais skill games). 

L’existence de l’aléa doit être mise en évidence à première lecture, dès l’annonce du gain. À défaut de mise en évidence de l’aléa, l’organisateur est tenu à la délivrance du gain annoncé, et ce sans pouvoir la subordonner au renvoi par le destinataire du bon de participation.

La loyauté de l’opération à destination des consommateurs ou la sanction 

Les loteries, pour être loyales (et donc légales), ne doivent être ni frauduleuses, ni agressives (par exemple, une loterie qui présenterait des frais cachés), ni trompeuses (par exemple, un lot qui ne serait jamais livré sur le wallet du participant). 

Au moment de rédiger le règlement de la loterie (dont le dépôt chez un huissier n’est plus obligatoire), l’organisateur doit éviter toutes clauses abusives qui pourraient entacher le cadre contractuel proposé aux consommateurs. 

À tout le moins, il est recommandé de préciser les conditions de participation et les lots concernés par la loterie dans le règlement et de publier ce document sur le site internet de l’organisateur afin d’être opposable aux participants en cas de litige. 

Si des données personnelles sont collectées, les opérateurs doivent veiller à respecter le règlement européen général sur la protection des données (RGPD) et la loi Informatique et libertés du 6 janvier 1978 qui imposent notamment de communiquer un certain nombre d’informations à la personne concernée.

Les dispositions sanctionnant les pratiques commerciales trompeuses ou agressives prévoient des sanctions pénales et civiles très lourdes : des peines d’emprisonnement, des amendes pouvant aller jusqu’à 1.500.000 € pour les personnes morales, ou bien être proportionnelles au chiffre d’affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits, etc. 

Sur le plan civil, des dommages et intérêts peuvent être obtenus sur le fondement de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, en fonction des cas. 

La répression des loteries illicites peut également s’effectuer par les agents de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DCCRF) lesquels sont habilités à rechercher et constater ce type d’infractions

Par ailleurs, une action en cessation de la loterie illicite peut également être engagée par une association de consommateurs agréée. 

Quelles incidences fiscales pour les loteries Web3 ?

Au-delà des enjeux règlementaires que pose l’organisation de ces loteries dans le Web3, il faut s’interroger sur la taxation de ces activités du point de vue de l’organisateur des jeux et, si la chance lui sourit, du point de vue du joueur. 

Le sujet est d’autant plus complexe qu’il nécessite la maîtrise des textes fiscaux en matière de Taxe sur la valeur ajoutée (TVA), d’impôt sur le revenu (IR) et d’impôt sur les sociétés (IS). 

De surcroît, l’environnement Web3, décentralisé et pseudonymisé, soulève une multitude de questionnements et de craintes, parmi lesquels : 

  • Comment identifier le gagnant ?
  • Quelles obligations déclaratives pour l’organisateur et/ou le gagnant ?
  • Dans quel État taxer les gains ?
  • Quel est l’évènement déclencheur de l’impôt ? 

Comme souvent lorsque la loi doit s’adapter aux évolutions technologiques, la première étape consiste à clarifier la fiscalité des activités similaires dites « traditionnelles » avant d’identifier les particularismes nés du Web3. 

Sans apporter de réponse universelle à des modèles économiques qui nécessitent une étude au cas par cas, les développements qui suivent proposent de précieuses pistes de réflexion.

La détermination du régime de TVA applicable à l’organisateur 

On sait que la loi fiscale prévoit des exonérations de TVA concernant l’organisation des jeux de hasard ou d’argent par les casinos, les maisons et les clubs de jeux. Mais la nature des jeux concours en ligne et des loteries est bien différente, en particulier lorsque l’objectif de l’organisateur est de diffuser un message publicitaire à destination des consommateurs. 

Toutes les opérations dont l’objet est de transmettre un message destiné à informer le public des qualités d’un bien ou d’un service dans le but d’en augmenter les ventes – ou qui font indissociablement partie d’une campagne publicitaire – doivent être regardées comme des prestations de publicité, visées à l’article 259 B, 3° du Code général des impôts. 

Les règles de territorialité applicables à ces prestations « immatérielles » fournies à un preneur non assujetti (tel qu’un particulier) sont les suivantes :

  1. Lorsqu’elles sont réalisées par un prestataire établi en France, les prestations « immatérielles » sont imposables en France si le preneur est établi dans l’UE ;
  2. Lorsqu’elles sont réalisées par un prestataire établi en dehors de l’UE, ces prestations sont imposables en France si le preneur est établi dans l’UE et si le service est utilisé en France ;
  3. Dans toutes autres hypothèses, les prestations immatérielles ne sont pas imposables en France.

Pour juger du régime fiscal applicable, impossible donc de faire l’économie d’une analyse in concreto de :

  • la nature du jeu, 
  • la qualité et la localisation de l’organisateur (a fortiori dans le Web3), 
  • la finalité de l’opération, 
  • l’identité du joueur (au-delà de son pseudonyme), 
  • la substance du gain convoité (biens matériels, services, actifs numériques au sens du Code monétaire et financier, etc.), et
  • le caractère exécutoire des obligations de l’organisateur.

La fiscalité applicable aux particuliers en cas de gains 

Par principe, la pratique – même habituelle – de jeux de hasard tels que loteries, tombolas ou jeux divers ne constitue pas, au sens de l’article 92 du Code général des impôts, une occupation lucrative ou une source de profits devant donner lieu à imposition au nom des personnes participant à ces jeux. 

Reste à étudier les modalités précises du jeu proposé, car le diable se cache parfois dans les détails et le gain peut ne pas être attribué qu’à la chance. 

Le Conseil d’État a récemment eu l’occasion de préciser la distinction entre (i) les jeux de pur hasard sur lesquels le joueur n’a aucune prise sur l’aléa pesant sur ses perspectives de gains et (ii) ceux qui lui permettent, en raison de son expertise et de sa pratique, d’agir sur des données qui impactent l’issue du jeu et de réduire ainsi cet aléa. 

Dans ce second cas, illustré par la pratique habituelle du jeu de poker en ligne sur Internet, les gains générés sont imposables à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux. Il importe peu que le contribuable exerce par ailleurs une activité professionnelle. 

Et si le gain perçu est qualifié d’actifs numériques au sens du Code monétaire et financier, il faudra s’interroger non seulement sur ses modalités de taxation (possibilités d’exonération, catégorie d’imposition, taux et calcul de l’assiette taxable) mais également sur le fait générateur de son imposition. Il pourra être envisagé de décaler le paiement de l’impôt sur le gain perçu au moment de la conversion en « fiat » (monnaie fiduciaire) ou bien de l’acquisition de biens ou services en échange de ces actifs numériques. 

Avec la multiplication de ces nouveaux usages, une clarification des règles fiscales est nécessaire. Au-delà des enjeux budgétaires associés, c’est la sécurité juridique du contribuable qui doit guider le législateur. 

À propos des auteurs

Maître Margaux FRISQUE est avocate associée chez d&a partners, un cabinet d’avocats indépendant au service des entrepreneurs de la tech et la blockchain. Anciennement avocate chez PwC Société d’Avocats et UGGC Avocats, Margaux accompagne fondateurs, créanciers et investisseurs dans le cadre de contentieux commerciaux complexes.

Elle intervient également dans le cadre de la rédaction de contrats sensibles (DeFi, ICO, Metaverse, NFTs, etc.). Après avoir été chargée d’enseignement en droit des sociétés à l’Université d’Aix-Marseille, Margaux intervient désormais en tant que conférencière sur les enjeux réglementaires entourant la technologie blockchain au sein de grands groupes et universités françaises.

Maître Stéphanie Némarq-Attias est avocate fiscaliste inscrite au barreau des Hauts-de-Seine et exerce exerce depuis 14 ans au sein du cabinet CMS Francis Lefebvre Avocats, conseillant et défendant les entreprises comme les particuliers sur toutes leurs problématiques fiscales.

Très impliquée au sein de l’écosystème de la Tech et de la Blockchain, Stéphanie a développé une expertise reconnue en matière de crypto-actifs. Nommée Best Lawyer© 2023 in Tax Law, Stéphanie est également co-Présidente de la Commission fiscale de l’ACE (Association des avocats conseils d’entreprises).

Anciennement chargée d’enseignement à l’université de Paris I La Sorbonne et auteure de nombreuses publications, elle intervient régulièrement en tant que conférencière sur les enjeux fiscaux entourant la technologie blockchain

Avertissement : Cet article est publié à des fins éducatives et informatives uniquement, et n’est pas destiné et ne doit pas être interprété comme un conseil juridique.

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