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Shutdown: Trump pilote à l’aveuglette, à quand le crash ?

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Mis à jour par
Célia Simon

03 octobre 2025 18:30 CET
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Les marchés américains caracolent de record en record pendant que Washington ferme les rideaux. C’est l’un de ces paradoxes dont Wall Street a le secret : plus l’incertitude politique s’épaissit, plus les indices semblent fêter l’aveuglement collectif. Or, depuis l’entrée en shutdown, une partie de l’appareil statistique fédéral est à l’arrêt ou au ralenti. Les grands rendez-vous chiffrés — emploi, inflation, consommation — risquent d’arriver en retard, par à-coups, ou pas du tout si l’impasse budgétaire se prolonge.

 Autrement dit : l’avion “économie américaine” vole, mais ses instruments s’éteignent les uns après les autres. Le pilote à la Maison Blanche peut bien répéter que tout va très bien, la cabine sait que voler en IFR sans altimètre finit rarement en belle histoire.

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Le grand aveuglement

Dans une économie moderne, les statistiques ne sont pas une décoration : ce sont les capteurs. Les marchés les utilisent pour estimer les bénéfices futurs, la banque centrale pour calibrer les taux, les entreprises pour planifier l’embauche, l’investissement, les stocks. Sans capteurs, on remplace la mesure par la narration : on croit, on suppose, on extrapole. Lorsque les bureaux de statistiques ferment ou réduisent la voilure, les investisseurs se rabattent sur des proxys — cartes bancaires anonymisées, séries privées, indices de fret — utiles, mais biaisés, révisables et non homogènes.

Résultat : les prix des actifs cessent de refléter une lecture fine du présent pour capturer un storytelling. Et ces derniers jours, la fable dominante est connue : « pas de chiffres, pas de mauvaise surprise ; pas de mauvaise surprise, pas de raison de vendre ». La pente est glissante : il suffit qu’un indicateur tardif ou une fuite partielle contredise la narration pour que la confiance se retourne d’un bloc.

Emploi : l’indicateur qu’on ne veut surtout pas rater

De tous les voyants, l’emploi est le plus politique et le plus market-sensible. Il donne le tempo des salaires, de la consommation et, par ricochet, des marges des entreprises. Sans publication fiable et à l’heure, les desks se mettent à deviner : un sondage privé ici, un baromètre de recrutement là. Or ces substituts captent souvent les extrêmes (les grosses boîtes, la tech, certaines côtes) et oublient le cœur de l’économie — PME, services diffus, emplois moins visibles. On peut soutenir un marché haussier sur l’espoir ; on ne le soutient pas longtemps sur des illusions.

Surtout, l’emploi est le premier filtre de la Réserve fédérale : si le marché du travail se tend, l’inflation salariale repart ; s’il se détend trop vite, le cycle des défauts et des coupes d’investissement suit. Quand l’indicateur se tait, la Fed pilote à l’ancienne : prudence verbale, dépendance à d’autres séries… elles-mêmes en retard. Chaque conférence de presse devient un exercice d’équilibrisme.

Inflation : quand la brume remplace la boussole

L’autre grand absent potentiel, c’est l’inflation. Les marchés d’actions adorent l’idée que la hausse des prix se tasse comme par magie, surtout quand cela justifie la perspective de taux plus bas. Mais sans chiffres officiels, on retombe dans la jungle des indicateurs alternatifs : prix à la pompe, loyers proposés en ligne, paniers privés. Tout cela dit quelque chose, mais rarement la même chose au même moment. Une économie de 20 000 milliards de dollars ne se lit pas avec trois captures d’écran.

Le danger est double. D’abord, l’illusion d’optique : vous voyez un signal local (baisse des loyers sur un État), vous l’érigez en tendance nationale. Ensuite, l’asymétrie : si, une fois le shutdown fini, l’inflation réapparaît au-dessus des attentes, la révision des anticipations de taux se fera en vitesse accélérée — et les valorisations avec.

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Consommation : le trou noir

Plus silencieuse, la consommation n’en est pas moins décisive : c’est les deux tiers du PIB américain. En temps normal, l’État fédéral publie une grappe d’indicateurs — ventes au détail, dépenses et revenus des ménages, enquêtes de confiance — qui permettent de discerner la texture de la demande (biens vs services, durable vs non durable, cash vs crédit). Quand ces séries manquent, les marchés se rabattent sur des données privées de cartes et d’e-commerce : elles sont rapides, mais volatiles, sensibles aux changements d’échantillon et à des effets de calendrier mal maîtrisés.

À court terme, l’absence de “prints” officiels encourage les paris au sentiment. À moyen terme, elle dégrade la qualité des modèles de prévision. Les entreprises finissent par sur-investir dans les bons segments… de la mauvaise région, ou à la mauvaise vitesse.

Pourquoi, malgré tout, la Bourse monte ?

Trois forces expliquent l’optimisme obstiné :

  1. Le réflexe de liquidité. Tant que la Fed n’a pas de raison “officielle” d’être plus dure, le marché la suppose conciliant. Moins d’information = moins de munitions pour un discours hawkish.
  2. Le momentum. Une fois les indices proches de leurs sommets, les stratégies systématiques et l’épargne pilotée suivent la tendance. La hausse engendre la hausse — jusqu’à ce qu’un fait têtu vienne casser la chaîne.
  3. Le récit. « L’Amérique est résiliente, l’IA dopera la productivité, la consommation tiendra. » Peut-être. Mais un récit n’est pas un bilan ; c’est une anticipation. Sans données, l’écart entre rêve et réalité s’élargit en silence… jusqu’à la réconciliation violente.
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La politique n’est pas un risque abstrait

Un shutdown, c’est d’abord un bras de fer budgétaire. Mais pour les marchés, c’est surtout une incertitude procédurale : quand reviendront les chiffres ? Sera-t-il nécessaire de rattraper plusieurs publications d’un coup ? Quelles révisions seront appliquées, et avec quelle crédibilité ? Chaque semaine perdue ajoute un cran d’opacité. Et l’opacité, sur des valorisations déjà élevées, se paie tôt ou tard en prime de risque.

La Maison Blanche peut minimiser, le Congrès peut temporiser : au bout du compte, la mécanique des marchés ramènera tout le monde à la table des faits. Le prix des actifs n’est jamais qu’une estimation du futur ; si vous obscurcissez le présent, vous élargissez la fourchette d’erreur — et donc la volatilité.

Les conséquences concrètes pour l’investisseur

Sans calendrier fiable de l’emploi, de l’inflation et de la consommation, il faut accepter des règles de conduite plus frugales :

  • Réduire le levier. Les “coups de fouet” de volatilité sont plus fréquents lorsque les chiffres reviennent tous en même temps.
  • Privilégier la qualité. Bilans solides, cash-flows prévisibles, pouvoir de prix — ce sont les amortisseurs naturels des phases de brouillard.
  • Diversifier hors des récits uniques. Si tout votre pari repose sur « la Fed baissera vite », vous n’avez pas une thèse d’investissement, vous avez un vœu.
  • Surveiller les indicateurs de second rang. Demandes de chômage hebdomadaires, spreads de crédit, indices ISM/PMI privés, guidance des entreprises : imparfaits, mais utiles pour capter un changement de régime.
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Le risque de “rattrapage”

Le scénario redouté est simple : les marchés montent sur absence d’alarme, puis les statistiques refont surface en paquet. Si les données confirment l’optimisme, tout le monde poussera un « ouf » et passera à autre chose. Mais si elles contredisent la fable — emploi qui faiblit d’un coup, inflation stickier que prévu, consommation qui cale — le rattrapage se fera en gap, c’est-à-dire sans la politesse d’un chemin doux. Les algorithmes ne discutent pas : ils exécutent.

“Pilote dans le brouillard” n’est pas une stratégie

Le marché adore les belles histoires ; la politique, les symboles. Les portefeuilles, eux, préfèrent les chiffres. Tant que le shutdown prive l’économie d’une partie de ses instrumentations, chacun vole « à l’estime ». On peut tenir un moment — les instruments de secours, l’expérience, la chance. Mais l’histoire de l’aviation économique est écrite par ceux qui respectent les procédures. À force de repousser la publication des données, on ne gagne pas du temps : on accumule de l’erreur.

Alors, à quand le crash ? Personne ne peut le dire, parce qu’un crash ne se produit jamais quand tout le monde l’attend ; il surgit lorsque les histoires cessent de se correspondre avec les faits. Or, c’est précisément ce que fabrique un shutdown prolongé : un écart grandissant entre les prix et la réalité mesurée. Plus il durera, plus la réconciliation sera brutale.

En attendant, Wall Street danse, comme ces orchestres qui jouaient plus fort quand le bateau prenait l’eau pour couvrir le bruit des rivets. La musique est entraînante. Mais chacun sait qu’il vaut mieux compter les canots quand on voit déjà la brume.

La morale de l’histoire : les places sont chères sur le radeau de la Méduse.

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