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Comment la blockchain peut-elle révolutionner la traçabilité de la chaîne d’approvisionnement ?

6 mins
Mis à jour par Célia Simon
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Les chaînes d’approvisionnement sont à la base même des entreprises. Pourtant, en 2020, le Forum économique mondial les qualifiait de « dangereusement opaques » : en effet, leur complexité augmentait plus vite que la capacité des systèmes existants à suivre les comportements, à contrôler l’impact, à lutter contre la fraude ou même à identifier l’origine des composants d’un produit. Quelques années plus tard, les réglementations fleurissent pour encourager les acteurs économiques à lutter contre cette opacité.

Ces réglementations sont en effet motivées par plusieurs facteurs : une demande croissante de transparence, la nécessité de garantir la sécurité des consommateurs par des rappels de produits contrôlés, la lutte contre la fraude (~50% du miel importé au sein de l’UE est frauduleux), la lutte contre la déforestation et les crimes environnementaux, la suppression du travail forcé et du travail des enfants (150 millions d’enfants concernés), ce pour n’en citer que quelques-uns. Ces réglementations favorisent ainsi trois tendances plus profondes qui ont un impact sur les entreprises :

  • Un processus complet de vérification préalable : les acteurs économiques deviennent responsables de ce qui se passe dans leur chaîne de valeur et sont tenus d’en assurer un suivi proactif.
  • Preuves : les allégations nécessitent désormais des preuves concrète, notamment en ce qui concerne les aspects ESG, le sourcing et l’origine.
  • Inversement de la charge de la preuve : dans certains cas spécifiques, les entreprises seront considérées comme non conformes par défaut, à moins qu’elles n’apportent des preuves suffisantes du contraire.

Parmi les contraintes liées à ces nouvelles réglementations figurent le droit d’accès au marché ainsi que des pénalités pour non-conformité allant de 2 à 7 % du chiffre d’affaires global. Les nouvelles réglementations placent donc l’opacité parmi les problèmes les plus cruciaux que les chaînes d’approvisionnement mondiales devront résoudre au cours des prochaines années. Elles définissent en grande partie un avenir où une traçabilité fiable et de bout en bout constituera une forme de « licence d’exploitation » sur la plupart des marchés.

Blockchain : la technologie de base pour la traçabilité moderne

De nombreuses entreprises affirment avoir instauré des mesures de traçabilité, mais les faits montrent qu’il n’existe pas de véritable connaissance de l’origine et de l’emplacement des produits. Les pratiques actuelles en matière de traçabilité reposent ainsi principalement sur l’identification formelle des processus, la collecte de données sur papier, les audits de routine et éventuellement le marquage physique des produits. Toutefois, ces méthodes ne permettent d’obtenir que des informations partielles et locales sur la chaîne d’approvisionnement, ce au lieu d’une consolidation et d’une analyse globales. En bref, elles créent de nombreux points obscurs où peuvent se développer des pratiques non durables, une diminution de la résilience et même des fraudes.

La traçabilité « moderne » exige ainsi de gérer les produits de manière holistique, de suivre les flux plutôt que les processus, et de couvrir l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement et des parties prenantes qui la composent. Cela implique ainsi d’agréger, d’améliorer et d’analyser des données provenant de diverses sources tout au long de la chaîne d’approvisionnement, ce qui englobe les méthodes de traçabilité traditionnelles. L’objectif est de créer une compréhension complète et intégrée du mouvement des produits et des informations sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement.

La blockchain, en tant que technologie de base pour la traçabilité, constitue une voie prometteuse pour parvenir à une transparence complète et fiable, répondant ainsi au besoin croissant pour une traçabilité vérifiable dans les chaînes d’approvisionnement.

En garantissant l’auditabilité des données, la technologie blockchain jette ainsi les bases d’une responsabilité claire entre les partenaires d’une chaîne de valeur : elle joue donc un rôle important dans la lutte contre la fraude, l’amélioration de la sécurité et la précision des informations au sein de la chaîne d’approvisionnement. Par conséquent, elle apparaît comme une option très convaincante pour l’avenir de l’industrie.

Mais comment tout cela fonctionne-t-il vraiment ?

L’immutabilité des données est la principale propriété de la blockchain qui permet de tenir la promesse en matière d’audit et de responsabilisation. Cela dit, l’immuabilité n’est pas inhérente à la blockchain en tant que technologie : elle est en fait profondément liée aux caractéristiques de gouvernance et de déploiement de la blockchain en tant que réseau. La nature du réseau peut rendre le potentiel de la technologie blockchain concret et réel pour la traçabilité de la chaîne d’approvisionnement… ou pas.

Les propriétés de preuve, de vérifiabilité et d’inviolabilité des données d’une blockchain sont liées au fait que les nœuds (c’est-à-dire une copie de la base de données de la blockchain) sont répartis entre des acteurs distincts et sans convergence d’intérêts. En revanche, si les nœuds appartiennent ou sont contrôlés par un seul acteur, le contenu de chaque copie de la base de données de la blockchain peut être facilement modifié, ce qui compromet donc sa promesse de preuve et d’audit.

Dans un contexte de conflit dans une chaîne d’approvisionnement, un échec dans un rappel de produit par exemple, il est facile de voir l’incitation à l’altération et donc les problèmes de responsabilité qui se posent pour cette concession.

En bref, la distribution des données est primordiale : elle peut être obtenue dans n’importe quel réseau partagé, qu’il soit public ou soumis à autorisation, mais une « blockchain privée » est un oxymore. Alors, une fois que la distribution du réseau est claire, comment peut-elle fonctionner en pratique ?

Tout d’abord, il est essentiel de maintenir la confidentialité, permettant ainsi à chaque participant de vérifier et de prouver l’information sans nécessairement en divulguer le contenu. Cela garantit ainsi le respect de la position de chacun dans la chaîne de valeur et élimine les conflits d’intérêts. Cette confidentialité est assurée par le stockage des empreintes digitales des données (hash) dans le réseau de la blockchain plutôt que des données.

Deuxièmement, le réseau blockchain lui-même doit être considéré comme une couche distribuée de partage de données. Chaque nœud constitue le principal point d’entrée des données, indépendamment connecté à chacun des systèmes des participants (ERP, WMS, etc.) – cette approche diffère de l’intégration des systèmes d’un nouvel acteur dans une grande solution centralisée, laquelle présente des difficultés de mise en œuvre et s’avère encore plus exigeante en termes de maintenance et de mise à jour.

Enfin, garantir la véracité des données partagées n’est pas dans ce contexte le rôle de la blockchain. En effet, le rôle de la blockchain est d’établir la preuve de l’origine et du contenu de chaque donnée partagée, de responsabiliser les acteurs par rapport à ce qu’ils ont déclaré et à quel moment.

La question de savoir si chaque donnée partagée est vraie ou fausse sera analysée par la suite, en dehors de la chaîne, ce à l’aide de plusieurs algorithmes d’évaluation et d’analyse des risques. De plus, dans le contexte d’une chaîne d’approvisionnement, le fait est que les fraudes et les erreurs font partie de la réalité quotidienne : une partie des données partagées sera donc fausse. L’objectif d’une plateforme de traçabilité est de détecter ces fraudes et ces erreurs, d’en attribuer la responsabilité et de permettre d’agir en conséquence dans le monde réel : c’est la nature même du défi de la traçabilité. Une vérité suffisamment fiable est ainsi le fruit d’une plateforme de traçabilité, et non son intrant… D’un autre point de vue, une plateforme de traçabilité basée sur la blockchain qui attendrait des données « vraies » en entrée tracerait en fait ce qui n’a plus besoin d’être tracé : il s’agirait d’une tautologie inutile…

Ainsi, en résumé, la blockchain offre un moyen structuré et sécurisé de stocker et de relier des données, garantissant l’intégrité, la transparence et la décentralisation du système global de partage des données de la chaîne d’approvisionnement.

D’un point de vue technique, la blockchain est simple, pas plus complexe qu’une autre base de données, voire même moins encore si l’on considère son modèle de données normalisé et simple. D’un point de vue général, les chaînes d’approvisionnement sont distribuées par nature, et l’utilisation d’un réseau distribué pour partager des données dans une chaîne d’approvisionnement semble manifestement être une bonne solution.

Concrètement, cela permet de mettre en place une stratégie de déploiement pratique et évolutive, en évitant les dépendances point à point ingérables. Enfin, un réseau blockchain offre des capacités d’audit sur les données de traçabilité, qui sont au cœur du nouveau tsunami d’exigences réglementaires.

Si la blockchain ne suffit pas à elle seule à améliorer la traçabilité, elle peut toutefois constituer une pierre angulaire essentielle lorsqu’elle est combinée à d’autres outils. Cette combinaison nous permet ainsi de passer d’une traçabilité reposant uniquement sur l’échantillonnage et les spécifications à un système de traçabilité en temps réel et de bout en bout, renforcé par une analyse en direct. Cette évolution jette les bases de la transparence réelle exigée par les régulateurs et les consommateurs.

A propos de l’auteur

Matthieu Hug est le cofondateur et PDG de Tilkal, la Plateforme de Traçabilité et de Transparence pour Chaîne d’Approvisionnement d’Industrie 4.0, et membre de la Fédération Française de la Blockchain.

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