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Ça sent la bulle : où sont les mille milliards de dollars pour rentabiliser l’IA ?

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Mis à jour par
Célia Simon

28 septembre 2025 12:00 CET
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Depuis dix-huit mois, l’IA lève des milliards à un rythme inédit — et promet en retour des trillions de valeur. Mais l’arithmétique commence à grincer. D’un côté, des méga-projets d’infrastructures (jusqu’à 10 GW de data centers pour OpenAI, avec Nvidia qui annonce 100 Md$ d’« investissement-soutien »), des contrats pharaoniques entre clouds GPU (CoreWeave) et laboratoires, et des plans à 300 Md$ avec Oracle pour le programme Stargate. De l’autre, des revenus d’usage encore modestes, un coût énergétique qui explose, et une question simple : où sont les mille milliards de dollars annuels qui doivent, à terme, rémunérer ce parc matériel ?

Un moteur d’investissement… qui dépasse les recettes visibles

Les ordres de grandeur donnent le tournis. McKinsey chiffre à ~6,7 billions de dollars d’ici 2030 les capex cumulés nécessaires pour suivre la demande de calcul — dont ~5,2 billions pour les data centers orientés IA. Morgan Stanley projette jusqu’à 3 billions de capex IA sur trois ans. En 2025, les hyperscalers visent >300 Md$ de capex, dont une part croissante pour l’IA. Et certaines annonces individuelles (Nvidia–OpenAI 100 Md$, OpenAI–Oracle 300 Md$, + nouveaux sites avec SoftBank) s’additionnent à une vague globale de constructions énergivores.

Côté recettes, la pente est plus timide. Des analyses récentes pointent que les revenus IA (LLM grand public, copilots, API) croissent vite, mais restent loin de justifier, à court terme, le mur d’investissement : certains estiment qu’il faudrait ~2 billions de dollars de chiffre d’affaires annuel d’ici 2030 pour soutenir la cadence, avec un “trou” de ~800 Md$ même dans les scénarios optimistes. Dit autrement : l’infrastructure court devant le business.

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Pourquoi l’IA n’est pas (encore) une autoroute à péage ?

Une comparaison utile : les réseaux fibre et le haut débit. On finance des actifs de très longue durée (la fibre tient 25 à 40 ans, et souvent plus) avec des modèles d’abonnement prévisibles sur des décennies. La rentabilité se joue sur l’amortissement très long d’un support physique qui ne se démode pas vite.

Les usines d’IA, elles, reposent sur des GPU/accelerators dont la durée utile est courte : dans les data centers, des architectes de premier plan évoquent 1 à 3 ans de vie utile sous forte charge avant bascule vers des tâches moins exigeantes ou vers l’occasion ; et la dépréciation peut s’accélérer quand une nouvelle génération (Blackwell, puis la suivante) rend la précédente nettement moins rentable. Même quand les comptabilités affichent 5–6 ans d’amortissement, l’obsolescence économique frappe souvent beaucoup plus tôt.

Résultat : l’IA ressemble moins à une autoroute à péage qu’à un parc automobile de Formule 1 qu’il faut changer sans cesse.

À cela s’ajoute le coût énergétique : l’IEA anticipe un doublement (voire plus) de la consommation électrique des data centers d’ici 2030, l’IA étant le moteur principal. Sans puissance abordable et disponible, la courbe d’usage cale — au moment même où l’offre matérielle explose.

Le « financement circulaire » qui inquiète

Plus troublant : la circularité des deals. Nvidia finance (jusqu’à 100 Md$) un client qui lui achète des GPU ; CoreWeave s’équipe massivement en Nvidia et vend de la capacité à OpenAI ; des clauses de rachat de capacité excédentaire et de cofinancement maillent l’écosystème. Ce vendor financing n’est pas illégal — il accélère même l’innovation — mais il peut masquer un déficit de demande finale si l’économie d’usage ne suit pas. Les marchés commencent à s’interroger : combien de ces gigawatts seront pleinement monétisés hors contrats croisés ?

Pourquoi la macro ne suit pas (encore) au même rythme

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Même des banquiers pro-IA notent que tous ces dollars n’atterrissent pas immédiatement en PIB : une part importée (matériel étranger) soustrait mécaniquement de la croissance, et une fois construits, les data centers emploient peu d’opérateurs, d’où un multiplicateur local faible. Si l’IA booste la productivité, l’effet net viendra plus tard — et sous condition que les cas d’usage s’industrialisent.

Le point dur : la monétisation à l’échelle

Les P&L des grands modèles restent soumis à des coûts variables élevés (inférence), à des améliorations de qualité qui plafonnent pour certaines tâches, et à un rapport coût/bénéfice encore discuté pour des millions d’utilisateurs. Oui, Nvidia pourrait frôler 400 Md$ de ventes IA d’ici 2028 selon des scénarios haussiers — mais cela déplace la valeur vers le fournisseur de pioches, pas forcément vers tous les prospecteurs. Tant que l’économie d’usage (logiciels verticalisés, gains de productivité mesurés) ne graissera pas la chaîne, l’édifice reste tendu.

Que se passe-t-il si la bulle IA éclate ?

1) Capex en sifflet → ralentissement de la croissance US

Si les commandes ralentissent en 2026, la contribution IA au PIB retombe : moins de chantiers, moins d’achats d’équipements (souvent importés), et un effet emploi faible à l’exploitation. La macro tient (consommation, services), mais l’IA cesse d’être un turbo conjoncturel. Les États et utilities, qui ont surdimensionné réseau & puissance pour accueillir ces parcs, pourraient se retrouver avec des actifs sous-utilisés à moyen terme.

2) Choc boursier sectoriel

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Les valos des pure players GPU-cloud, des loueurs de capacité et de certains fonciers data centers sont hyper-sensibles aux taux d’utilisation et à la dépréciation accélérée des puces. Un trou d’air de la demande crée un effet ciseau : CAPEX passé + ASP en baisse + obsolescence = marges comprimées. Les actions méga-cap (clouds, semi) résistent mieux, mais subissent la rotation si les guidances capex refroidissent.

3) Énergie : digestion au lieu d’emballement

Côté réseaux et électricité, un palier IA desserrerait la contrainte de court terme (files d’attente de raccordement, prix de puissance), mais ajouterait un enjeu de rentabilité pour des investissements anticipés sur une demande qui n’arrive pas au rythme prévu. Les territoires « AI-friendly » pourraient ralentir leur course aux GW.

4) Crypto : risque-on, mais pas que

Historiquement, la crypto se corrèle aux actifs risqués : un défaut de confiance sur l’IA (et donc sur les méga-cap tech) pèse d’abord sur le beta global — BTC/ETH corrigent avec le Nasdaq. Mais deux effets contraires existent :

  • si l’IA aspire moins de capital risqué, une partie peut rebasculer sur la thèse “hard money / hors système” (BTC) lors d’un stress macro ;
  • en revanche, la fermeture du robinet de liquidité (capex en baisse, profits en baisse, conditions financières plus dures) déprime le levier et les alts.
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Bilan probable : plus de volatilité, une domination relative de BTC sur les altcoins, et un retour des narratifs macro (taux réels, dollar) comme moteurs principaux.

Et si la bulle… ne perce pas ?

Le scénario optimiste existe : efficacité logicielle (serving moins cher), normalisation des tarifs d’API, montée des workflows réellement transformés (santé, dev, support, R&D), et courbe d’apprentissage des entreprises qui internalisent les gains de productivité. Dans ce cas, les revenus rattrapent les capex et la « bulle » n’en était pas une — juste un front-load d’investissement.

Mais pour tenir cette promesse, il faut monétiser massivement l’inférence, déverrouiller la contrainte énergétique, et allonger la durée de vie économique des puces (réutilisation, marché secondaire). Ce n’est pas impossible ; c’est exigeant.

Le test décisif des « mille milliards »

La vraie question n’est pas « l’IA sert-elle ? » — évidemment oui — mais combien d’euros/dollars d’usage récurrent sont prêts à s’aligner, chaque année, face à des capex cumulés en billions et des actifs qui perdent une bonne part de leur valeur économique en 2–3 ans. Tant que la réponse restera évasive, les signaux de bulle persisteront : financement circulaire, capex qui courent devant les P&L, et promesses de productivité plus rapides que les retours mesurables.

Pour l’instant, le marché a prépayé l’avenir. À l’IA, désormais, de payer le marché.

La morale de l’histoire : L’IA est-elle le prochain Metaverse ?

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