Le 10 octobre 2025, une étincelle macro — l’annonce-choc de droits de douane à 100 % sur les importations chinoises — a mis le feu aux poudres : liquidations records (≈ 19 milliards $ en 24–36 h), carnets qui se creusent, spirale vendeuse, puis un rebond technique le lundi 13. C’est, de l’aveu de Reuters et d’autres titres, l’épisode de liquidation le plus important de l’histoire de la crypto.
Comparer 1929 et 2025 n’est pas un jeu d’analogies faciles. Mais certains parallèles sont éclairants : spéculation de masse, crédit/levier, microstructure fragile, promesses d’accès « démocratisé » aux marchés… et surtout, le rôle ambigu de la réglementation, trop faible avant 1933-34, plus flottante et disputée en 2025.
1929 : des marchés « démocratisés »… sans garde-fous
Dans les années 1920, l’Amérique invente la finance de masse : presse financière, télégraphe et tickets de cotation, comptes sur marge où l’on n’avance que 10 % et l’on emprunte le reste, « investment trusts » vendus au grand public. La bourse cesse d’être un club de banquiers ; elle devient un spectacle national — sans véritable régulateur fédéral.
SponsoredS’ajoutent les bucket shops (maisons de pari boursier) et les pools de manipulation : on pousse un titre, on vend à la foule, on recommence. La SEC n’existe pas encore ; l’arsenal fédéral est minimal et morcelé dans des lois d’États (« blue sky laws ») peu coordonnées. Quand la musique s’arrête, la combinaison spéculation à crédit + faible transparence + microstructure permissive laisse les ménages à découvert. La réponse politique sera le Securities Act de 1933 (transparence des émissions) puis le Securities Exchange Act de 1934 (naissance de la SEC, lutte contre la manipulation).
Ce qu’il faut retenir : 1929 n’est pas qu’un excès de prix. C’est l’aboutissement d’une démocratisation sans garde-fous (marge facile, produits peu compris, circuits « grisés ») corrigée après coup par une régulation structurante.
2025 : une « re-architecture » réglementaire… perçue comme un relâchement
En 2025, le paysage crypto n’est ni totalement dérégulé, ni pleinement stabilisé. Il est reconfiguré :
- États-Unis : après des années d’actions musclées, la SEC a surpris en abandonnant certaines poursuites très médiatisées (dont Coinbase), tandis que la Chambre avançait des textes de market structure (FIT21, CLARITY) clarifiant les rôles respectifs de la SEC et de la CFTC. Beaucoup y ont vu un assouplissement du bras armé anti-fraudes, même si la SEC n’a évidemment pas « perdu tout contrôle » sur les escroqueries : elle conserve ses pouvoirs d’enquête et de sanction, mais dans un cadre politique en évolution.
- Europe (UE) : à rebours de l’image « dé-régulée », l’Union a mis en place MiCA, régime unifié couvrant l’émission, la conformité et la supervision des services crypto. MiCA est largement pro-transparence et pro-agrément, le contraire d’un Far West.
- Royaume-Uni : la FCA a rouvert l’accès retail aux ETN crypto (cETN) à compter du 8 octobre 2025, tournant pragmatique après un bannissement ; là encore, ce n’est pas l’absence de règles, mais un canal régulé de distribution.
Lecture honnête : 2025 n’est pas la « fin du contrôle » ; c’est une ré-partition du contrôle (législateur, SEC, CFTC, FCA, ESMA), avec des messages parfois contradictoires pour le public. Côté perception, une série d’abandons de poursuites et d’ouvertures produits a pu désarmer psychologiquement la vigilance anti-escroqueries sur la marge, comme les blue sky laws mal coordonnées avant 1933. Mais la comparaison s’arrête là : nous avons des régimes, hétérogènes certes, et souvent plus stricts qu’en 1929.
Sponsored SponsoredParallèles structurels : de 1929 à 2025
Spéculation de masse et effet de levier
- 1929 : marges à 10 %, achat d’actions à crédit, turbos spéculatifs.
- 2025 : dérivés 24/7, effet de levier facile sur plateformes, perpétuels financés, collatéraux volatils. Dans les deux cas, le crédit transforme un choc en cascade de ventes forcées.
« Démocratisation » des canaux d’accès
- 1920s : bucket shops, clubs d’investissement, presse populaire.
- 2025 : applis, ETN/ETF, contenus créateurs. Les passerelles d’accès élargissent la base d’investisseurs — atout (liquidité) mais aussi risque (mouvements grégaires).
Microstructure qui se creuse dans le stress
- 1929 : pools, wash trades, carnets peu profonds, suspensions désordonnées.
- 2025 : profondeur qui s’évapore quand tout le monde traverse la même porte, désynchronisations entre plateformes, spreads qui s’élargissent — on l’a revu le 10 octobre.
Récits qui dépassent la mécanique
- 1929 : « la nouvelle ère de prospérité ».
- 2025 : « digital gold », « le halving fait monter les prix ». Dans les deux cas, des récits vrais à long terme peuvent ne rien protéger à court terme contre un choc de flux.
Où la comparaison se casse (heureusement)
- Transparence et enquête : en 1929, pas de SEC, pas de prospectus fédéraux standardisés. En 2025, même si la crypto brouille les lignes, la SEC (et ses pairs) existent ; MiCA impose des exigences d’information et d’agrément qui n’avaient aucun équivalent en 1929.
- Filets de sécurité : banques centrales, prêteurs en dernier ressort, G20 / FSB… L’infrastructure anti-contagion est infiniment plus robuste qu’en 1929, même si le secteur crypto reste en lisière de ces pare-feux.
- Canaux régulés : l’essor des ETF/ETN régulés (US/UK) peut lisser des flux ; c’est l’inverse des bucket shops. Le risque se déplace (comptes à découvert chez les particuliers, illiquidité intra-journalière), mais il ne vit plus dans un vide juridique.
Le 10 octobre 2025, vu à travers 1929
L’enchaînement est tristement classique :
- Choc exogène (tarifs) → re-prixage de l’appétit pour le risque sur tous les actifs « growth ».
- Levier latent → liquidations en chaîne, carnets qui se vident, risque de contrepartie re-évalué.
- Boucle de rétroaction → ventes au marché qui « mordent » plusieurs niveaux de prix, accentuant la chute.
- Nettoyage du levier → rebond technique quand les positions les plus fragiles ont sauté.
Dans ce cycle, la « dérégulation » 2025 joue surtout par la perception : abandon de certaines poursuites, débat Congrès/SEC/CFTC, ouverture de nouveaux canaux aux particuliers. Une partie du public conclut hâtivement : « le risque légal recule ». Des escrocs surfent sur ce flou, comme les opérateurs de bucket shops sur l’ambiguïté d’avant-1933.
Mais, contrairement aux années 1920, les autorités disposent aujourd’hui d’outils d’enquête et de sanction. Dire que la SEC a « perdu tout contrôle » serait inexact ; dire que la lisibilité du cadre américain s’est brouillée en 2025 — au point d’alimenter des comportements imprudents — est plus juste.
Leçons pratiques tirées de l’histoire
- Réguler avant, pas après. 1933-34 ont fixé le standard « transparence d’abord ». MiCA va dans ce sens pour la crypto ; les États-Unis gagneraient à stabiliser leur cadre (qui fait quoi, SEC ou CFTC ?). Tant que la frontière est floue, les acteurs jouent à pile ou face avec l’arbitrage réglementaire.
- Limiter l’addiction au levier. 1929 a montré ce que des marges trop faciles font à un marché de masse. En 2025, la combinatoire dérivés + collatéraux volatils + 24/7 appelle des garde-fous techniques (marges procycliques, coupe-circuits inter-plateformes).
- Rendre la microstructure résiliente. La profondeur qui s’évapore est un problème d’ingénierie de marché. Les opérateurs et régulateurs peuvent harmoniser pauses, appels de marge et mécanismes d’« auctions » pour éviter les goulets d’étranglement.
- Désacraliser les récits. Ni la « prospérité éternelle » des années 1920, ni le « halving-super-héros » en 2025 ne protègent contre un choc de flux. La régulation doit protéger les personnes, pas valider des slogans.
Conclusion : 1929 n’est pas 2025, mais la tentation se ressemble
Ce qui rapproche 1929 et 2025, ce n’est pas l’identité des outils mais la tentation : élargir l’accès, encourager la prise de risque, puis réfléchir aux garde-fous. En 1933-34, l’Amérique a compris que la démocratisation des marchés sans cadre robuste finit mal ; elle a bâti la SEC et un droit des valeurs mobilières modernes. En 2025, la crypto cherche son compromis : innovation, distribution régulée, protection des investisseurs et coordination des régulateurs. Entre-temps, le 10 octobre nous rappelle la partie non négociable de l’histoire : quand la liquidité se retire et que le levier domine, l’ingénierie de marché et la lisibilité des règles font la différence entre un gros orage… et un krach qui marque une génération.
La morale de l’histoire : le régulateur est l’ami de l’investisseur.