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Crypto Polémique : comment obliger Tether à partager ses bénéfices avec nous, ses « investisseurs » ?

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Mis à jour par
Célia Simon

27 septembre 2025 08:44 CET
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Vous placez vos euros ou dollars dans un money market fund en dollars et vous touchez (encore) autour de 3,8–4,2 % en 2025. Vous passez par USDT pour « parquer » du cash en crypto… et vous touchez zéro. Dans le même temps, Tether empile des bénéfices records nourris par les intérêts des bons du Trésor américain et par la taille colossale de ses réserves. En 2024, la société a revendiqué plus de 13 milliards de dollars de profits et plus de 20 milliards de capitaux propres. Résultat : le stablecoin rapporte énormément… à son émetteur, pas à ses utilisateurs.

La question qui fâche est donc double : pourquoi USDT ne distribue-t-il aucun rendement alors qu’il capte les intérêts de ses propres réserves, et peut-on (et comment) contraindre Tether à partager ces bénéfices avec ceux qui en ont fait le géant qu’il est ?

Pourquoi Tether gagne autant… et vous, rien

Le modèle économique est simple : Tether émet des USDT, conserve en face des réserves très liquides (essentiellement des T-Bills et équivalents), et encaisse les intérêts. Quand les taux courts sont élevés (comme en 2024), la machine imprime. Tether publie des attestations trimestrielles (BDO Italia) et communique des jalons : USDT > 100 Md$ en circulation début 2024 ; Tether parmi les gros détenteurs de T-Bills ; et, en 2025, discussion publique avec un Big Four pour viser un audit complet (toujours attendu).

En face, l’utilisateur d’USDT n’est pas un actionnaire. C’est un porteur de jeton censé être rachetable 1:1. Les conditions d’utilisation précisent la nature contractuelle du token et les réserves ; elles ne confèrent aucun droit aux intérêts issus de ces réserves. En clair : la marge sur le “float” appartient à l’émetteur.

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Comparez avec un money market fund traditionnel : par construction, un MMF reverse l’essentiel des intérêts (moins les frais) à ses porteurs. Début été 2025, on observait encore des 7-day yields autour de 3,8–4,2 % sur des produits très grand public libellés en dollars(Fidelity, Vanguard, Schwab). Oui, ces rendements reculent avec les baisses de taux récentes, mais ils existent. Sur USDT, non.

« Partager les bénéfices » : l’obstacle juridique que personne ne lit jusqu’au bout

Avant d’imaginer « forcer Tether à partager », il faut regarder la loi. En Europe, le règlement MiCA classe la plupart des stablecoins indexés monnaie fiduciaire en e-money tokens et interdit explicitement de verser des intérêts aux porteurs (et même aux intermédiaires offrant des avantages liés à la durée de détention). Autrement dit, même si Tether le voulait, il ne pourrait pas rémunérer les porteurs d’USDT dans l’UE sans changer de catégorie juridique.

Aux États-Unis, l’été 2025 a vu l’adoption d’un premier cadre fédéral sur les stablecoins (GENIUS Act). Les analyses juridiques convergent : les « covered stablecoins » ne doivent pas offrir de rendement — ce précisément pour éviter la confusion avec des produits de placement. Là encore, pas de pass-through vers l’utilisateur sur le sol américain, du moins pour l’émetteur lui-même.

Conclusion provisoire : la réglementation dominante a, pour l’instant, verrouillé la possibilité qu’un émetteur de stablecoin verse l’intérêt du float à ses porteurs. Cette interdiction vise la stabilité et la clarté… mais laisse un goût amer à l’épargnant qui voit un quasi-MMF générer des milliards… pour lui zéro.

Peut-on quand même faire pression ? Trois leviers réalistes

a) Levier réglementaire : orienter le partage… via les intermédiaires

Même si MiCA/GENIUS bloquent l’émetteur, on peut militer pour que les plateformes (bourses, néobanques crypto) proposent des “sweep” volontaires vers des MMF tokenisés ou des stablecoins porteurs de rendement (hors statut EMT/Covered, avec divulgation des risques). La tendance « yield-bearing stablecoins » (sDAI, OUSD, USDY/USYC, etc.) existe déjà côté DeFi/finances tokenisées — attention, ce ne sont pas des dépôts bancaires, et le risque n’est pas celui d’USDT. Mais c’est une voie pour reprendre une partie du rendement sans attendre Tether.

b) Levier concurrentiel : voter avec ses pieds

Rien n’oblige à « stocker » son cash dans USDT entre deux opérations. On peut arbitrer vers des solutions qui rémunèrent (MMF tokenisés, dépôts rémunérés chez des courtiers régulés, ou stablecoins explicitement conçus pour passer les rendements). Plus la demande marginale d’USDT se déplace, plus la pression monte pour que Tether baisse ses frais, augmente la transparence, ou partage indirectement via des programmes avec les plateformes partenaires. (En 2024-2025, Tether a beaucoup communiqué sur sa transparence et la perspective d’un audit complet, justement sous la pression médiatique et politique.)

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c) Levier judiciaire et politique : l’esprit « class action »

Il existe déjà des class actions visant Tether (marché/manipulation) ; elles ne portent pas sur le partage du rendement, mais elles montrent qu’un front judiciaire est possible lorsque des pratiques jugées abusives sont alléguées. Dans d’autres industries, des actions collectives ont arraché des milliards (ex. Visa/Mastercard et les interchange fees), redistribués aux commerçants lésés. Transposé à l’univers stablecoin, un front coordonné d’utilisateurs/plateformes pourrait viser à encadrer juridiquement le “float margin” (plus de transparence, plafonds de marge, ou obligation de proposer un compte rémunéré alternatif sur la même interface).

Attention : le “short squeeze” façon GameStop n’est pas transposable à Tether (entreprise privée, pas d’actions cotées à comprimer, et coordonner un « squeeze » est juridiquement risqué). La leçon à retenir de 2021 n’est pas la manœuvre spéculative, mais la puissance du collectif pour imposer un agenda médiatico-politique.

« Partager » sans violer la loi : 5 pistes concrètes

  1. Compte “balai” (sweep) : chez les courtiers/fintechs régulés, proposer par défaut le balayage d’USDT inactifs vers un MMF (ou une part tokenisée) au choix de l’utilisateur, avec réversibilité instantanée. Cela bypass la contrainte de l’émetteur en rémunérant via un produit distinct.
  2. “Travel mode” & limites : exiger par défaut des délais et plafonds sur les sorties d’USDT vers de nouvelles adresses ; moins de fuites « accidentelles » = plus de capital disponible pour des stratégies rémunérées en arrière-plan opt-in. (Ceci améliore aussi la sécurité, thème cher aux régulateurs.)
  3. Transparence & cap de marge : militer pour un reporting standardisé : revenu total des réserves, coûts, marge nette par USDT. Une fois le chiffre objectivé, la pression publique peut exiger un cap (par ex. X pb au-dessus d’un MMF Treasury) et une offre alternative rémunérée.
  4. Part de rendement via partenaires : Tether pourrait contractualiser (là où la loi le permet) des programmes avec des plateformes, qui partagent une partie du revenu de trésorerie en échange de gardes-fous (KYC, plafonds, transparence). L’émetteur ne paie pas directement l’utilisateur (évite l’écueil MiCA/GENIUS), mais négocie un taux avec l’intermédiaire.
  5. Competition-by-design : soutenir les projets régulés qui passent tout ou partie du rendement (stablecoins « yield-bearing » ou trésors tokenisés). Plus ces alternatives gagnent, plus Tether devra répondre en prix (frais) et en services.

Objections et réponses

Objection 1 : « Si Tether rémunère, USDT deviendra un produit d’épargne, donc plus risqué et plus régulé. »
Réponse : Justement, le cœur du problème est juridique : MiCA et GENIUS découragent les stablecoins qui rémunèrent. La voie praticable consiste à séparer l’outil de paiement (USDT) et le produit de rendement (MMF / token de T-Bills), tout en offrant un parcours utilisateur fluide.

Objection 2 : « Tether est privé, impossible de le forcer. »
Réponse : On ne « force » pas une entreprise privée par tweets, mais par lois, normes de marché et concurrence. Les actions collectives ont contraint des oligopoles à rendre de l’argent ou à changer de pratiques (interchange fees). La crypto n’y échappe pas : des standards imposés par les bourses et gros investisseurs peuvent reconfigurer l’économie du « float ».

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Objection 3 : « Les attestations de Tether suffisent. »
Réponse : Elles comptent, mais ne sont pas un audit complet ; Tether a dit viser un Big Four — bonne nouvelle — mais l’alignement avec l’intérêt de l’utilisateur passe aussi par la gouvernance des profits, pas seulement par la photo des réserves.

Mode d’emploi pour l’épargnant (et le fondateur)

Pour l’épargnant/utilisateur

  • Séparez vos usages : USDT pour payer/attendre, MMF/tokenisés pour rémunérer (en comprenant les risques spécifiques des instruments on-chain).
  • Comparez : regardez le 7-day yield des MMF et l’équivalent proposé par votre plateforme ; si c’est 0 %, posez la question.
  • Militez auprès des plateformes : demandez un sweep opt-in et une transparence sur le partage de la marge.

Pour les fondateurs/plateformes

  • Shippez un sweep account” vers un MMF (ou équivalent tokenisé) 100 % opt-in, réversible et documenté.
  • Publiez la marge prélevée sur le “float” et le taux reversé aux clients (si applicable).
  • Adoptez les garde-fous (delays, whitelists, travel mode) qui plaisent aussi aux régulateurs : vous gagnez en sécurité et en pouvoir de négociation.

 Le récit à renverser

Le récit actuel dit : « Les stablecoins paient la stabilité, pas le rendement ». Tether, leader absolu, incarne cette vision — et gagne énormément quand les taux sont hauts. Mais l’histoire financière montre qu’un récit peut changer sous la pression d’utilisateurs organisés, de concurrents opportunistes et de législateurs. En 2024–2025, Tether a franchi des caps symboliques (USDT > 100 Md$, profits annuels stratosphériques, promesse d’audit), ce qui le rend influenceur… et cible.

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La stratégie crédible n’est pas un fantasme de « short squeeze » inapplicable à une société non cotée, mais un trépied :

  1. Réglementaire : pousser des normes qui séparent nettement paiement et épargne, pour que la rémunération transite par des produits adéquats (MMF/tokenisés) proposés au même endroit, sans violer MiCA/GENIUS.
  2. Concurrentiel : favoriser (et utiliser) des alternatives rémunératrices sûres (autant que possible) : on déplace la demande marginale et on force l’évolution des offres.
  3. Collectif : coaliser épargnants, marchands et plateformes pour exiger transparence, cap de marge et options de rendement opt-in — comme les commerçants l’ont fait face aux réseaux cartes.

Et si Tether disait non ?

Il se peut que Tether refuse structurellement de partager son « net interest margin ». Cela n’empêche pas :

  • les régulateurs d’imposer des révélations plus fines (composition, rendement moyen, coûts) ;
  • les plateformes d’offrir des sweeps par défaut désactivables ;
  • la concurrence de grignoter la part d’USDT « dormant » via des coffres rémunérés conformes aux règles locales.

À la fin, Tether répondra à une force simple : si trop d’utilisateurs cessent de supporter un produit qui rapporte tout à l’émetteur et rien au porteur, la firme devra ajuster (prix, services, partenariats) pour retenir les flux. Rien d’illégal ni de spectaculaire : juste de l’hygiène de marché.

Le mot de la fin (provisoire)

Oui, Tether gagne des milliards en 2024–2025. Oui, l’utilisateur d’USDT touche zéro. Non, ce n’est pas une « injustice » au sens juridique : c’est le contrat actuel. Mais un contrat évolue sous la pression du droit, de la concurrence et du collectif. Si vous voulez que le rendement du “float” cesse d’être privatisé, orientez votre épargne vers des instruments rémunérés, exigez des options sweep claires, et soutenez les cadres qui séparent le paiement (stable) de l’épargne (rémunérée). C’est comme cela que les petits porteurs ont déjà forcé des monopoles à rendre des milliards ailleurs (interchange fees) ; c’est ainsi que l’on peut, demain, rééquilibrer le contrat social des stablecoins — sans casser la parité qui fait leur utilité.

La morale de l’histoire: La pente est rude mais la route est droite.

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