Soyons sérieux deux minutes — puis moqueurs les vingt suivantes. Le “stablecoin” n’a de mystérieux que le nom. Derrière le vernis blockchain et trois acronymes qui brillent, on retrouve une vieille promesse en costume gris : « donne-moi 1 unité aujourd’hui, je te rends 1 unité demain, à la minute où tu la réclames ».
C’est la promesse d’une banque étroite (narrow bank), pas d’un club de magie. Même promesse, même risque de ruée, mêmes besoins de réserves, de liquidité, de gouvernance et de supervision. Autrement dit : si ça marche comme une banque et que ça peut paniquer comme une banque, il faut le réguler comme une banque — même si ça dit “GM” sur X.
Sponsored« Les stablecoins ne sont pas de la monnaie ; ils manquent de l’ancrage institutionnel et de la capacité à garantir la parité en toutes circonstances. » — Fabio Panetta, alors membre du directoire de la BCE, discours « Demystifying crypto », 2023.
« Mais c’est de la tech ! » — Non : c’est de la monnaie… avec un hoodie
On nous jure la main sur le whitepaper que le stablecoin, c’est différent : smart, programmable, disruptif. Très bien. La programmabilité n’annule ni l’arithmétique de la liquidité, ni la psychologie des foules. Si le jeton promet 1:1 à vue, la moindre rumeur transforme la blockchain en piste d’athlétisme : tout le monde sprinte vers la sortie. Les économistes appellent ça un run ; les community managers, une « forte demande de rachat ». Quelle que soit l’orthographe, le résultat est identique : sans réserves sûres et liquides, la parité fait plouf.
« Même activité, même risques, même règles. » — IOSCO, recommandations politiques pour les crypto-actifs et les global stablecoin arrangements, 2023.
MiCA est un bon début ; l’atterrissage logique, c’est l’équivalence bancaire
Le cadre de loi MiCA pose des bases utiles (gouvernance, réserves, transparence, procédures de rachat, statut “significatif”). Bravo. Maintenant, soyons adultes : dès qu’un émetteur atteint une taille qui “bouge” le système, on cesse les demi-mesures et on le fait passer sous un régime de banque étroite. Pas pour lui coller des prêts hypothécaires et un comité risques de 200 personnes ; pour exiger quatre choses terre-à-terre :
- Des réserves de qualité : cash banque centrale si possible, T-bills très courts, dépôts ségrégués chez banques solides, concentrations bornées.
- Une liquidité vérifiée : tests de stress, limites de duration, décotes prudentes, reporting rapproché.
- Une convertibilité opposable : tu rends 1, on te rend 1 — vite — avec des SLA et des pénalités si ça traîne.
- Un plan de résolution prêt à l’emploi : playbook, bridge entity, seuils de déclenchement (dépeg, outflows nets).
« Les jetons de monnaie électronique et les tokens référencés à des actifs devront respecter des exigences de réserves de haute qualité, de rédemption et de gouvernance plus strictes lorsqu’ils sont significatifs. » — Commission européenne, dossier MiCA, 2020–2024.
« L’Europe est le premier continent à se doter d’un cadre complet pour les crypto-actifs — un standard qui apportera clarté et confiance. » — Stefan Berger, rapporteur MiCA au Parlement européen, 2023.
Cinq raisons (et un brin d’ironie) pour arrêter la comédie
1) Le risque de ruée ne lit pas les communiqués.
Sponsored SponsoredOn peut publier autant d’“attestations d’auditeur” qu’on veut ; si les réserves sont mal logées, trop longues ou trop risquées, la rumeur court plus vite que les coupons courent. Il faut des actifs qui se vendent en plein orage, pas des promesses d’après-midi ensoleillé.
« Sans cadre robuste, des stablecoins largement utilisés pour les paiements pourraient menacer la stabilité. » — Agustín Carstens, directeur général BIS, discours « The future monetary system », 2023.
2) Le mismatch, ce vampire discret.
Rembourser tout de suite avec des réserves qui se débouclent plus tard, c’est la recette universelle des nuits blanches. Le secteur bancaire vit avec ça depuis des siècles — et le régulateur a inventé des coussins de liquidité (LCR/NSFR) pour éviter les tartes volantes. Copier n’est pas honteux ; c’est prudent.
« Les stablecoins utilisés à grande échelle pour les paiements doivent être entièrement réservés par des actifs de haute qualité et rachetables à parité. » — Jon Cunliffe, alors vice-gouverneur Bank of England, discours « Regulating Stablecoins », 2023. (Royaume-Uni, mais principe universel.)
3) L’opérationnel, ce n’est pas du marketing.
Un stablecoin, c’est un système de paiement 24/7. Ça demande PRA, sauvegardes, sécurité des clés, tests d’intrusion, DORA (résilience opérationnelle numérique) — pas un billet Medium avec des emojis.
4) La conformité, ce n’est pas un sticker.
SponsoredKYC/AML, Travel Rule, gels ciblés : au-delà d’un certain volume, il faut une machine de conformité, pas un canal Telegram. On peut être crypto-native et professionnel : l’un n’empêche pas l’autre, promis.
5) La souveraineté monétaire, ce n’est pas un souvenir.
L’euro numérique prendra le temps qu’il faudra ; en attendant, l’UE a tout intérêt à encourager des euro-stablecoins sûrs plutôt que de laisser l’économie numérique s’angliciser en USD par défaut. Or la confiance vient d’un cadre prudentiel clair, pas d’un logo bien léché.
« La monnaie repose sur la confiance ; aucune technologie ne peut s’y substituer. » — Agustín Carstens, BIS, 2023.
« Vous allez étouffer l’innovation » ; On l’a beaucoup entendue, celle-là
Pas besoin de tout peindre en Bâle III pour tuer l’inventivité. On propose une échelle :
- Projets modestes : MiCA “standard”, jouez, testez, itérez.
- Acteurs significatifs (encours/parts de marché/utilisateurs) : régime narrow bank. Vous tenez une promesse à vue pour des millions de personnes ? Vous devenez grand, donc responsable. Ce n’est pas la fin de la fête, c’est la majorité.
« Les émetteurs significatifs d’EMT/ART seront soumis à des obligations renforcées (réserves, liquidité, gouvernance, tests de résistance). » — EBA, projets de normes techniques MiCA (2024–2025).
Et si l’accès direct aux comptes de banque centrale n’est pas encore possible ? On fait comme les grands : banques de cantonnement, ségrégation stricte, cessions de créances au bénéfice des porteurs, reporting rapproché. Bref, on arrête de bricoler.
Feuille de route (très) pragmatique — sans poésie, avec résultats
- Seuils de matérialité : au-delà de X Md€ d’encours ou Y millions d’utilisateurs actifs, bascule automatique vers le régime étroit.
- Réserves : liste positive d’actifs éligibles, limites de duration et de concentration, publication hebdomadaire agrégée et mensuelle détaillée au superviseur.
- Rédemption : SLA, frais capés, canaux SEPA/Instant, tests “fire-drill” annuels.
- Résolution : living will, bridge entity, déclencheurs objectifs (dépeg, outflows nets), com’ de crise standardisée.
- Interop : API bancaires, compatibilité SEPA Instant, passerelles L1/L2 sous contrôle.
- Supervision : EBA/ESMA/ACPR/SSM en pilote, rapports hebdo de liquidité pour les “significatifs”.
Rien d’exotique. Juste la traduction en 2025 de ce que l’on sait depuis Bagehot : en cas de panique, il faut du cash réel, des règles claires et des adultes dans la pièce.
Morale (ironique, mais constructive)
Le stablecoin qui promet « 1 = 1, tout de suite » n’est pas un papillon numérique : c’est un dépôt avec un joli front-end. L’Union européenne n’a pas à “punir” l’innovation ; elle doit l’assainir. La règle est vieille comme la monnaie : les promesses de stabilité sont dangereuses quand elles ne sont pas supervisées. Appelons donc un stablecoin ce qu’il est : une banque étroite programmable. Et donnons-lui le cadre bancaire qui va avec.
Ce jour-là, un euro-jeton vaudra 1 euro — pas seulement quand tout va bien, mais surtout quand tout va mal. Et la blockchain, enfin, cessera d’improviser le métier de banquier… en espérant que personne ne remarque la différence.
La morale de l’histoire : Régulons pour s’éviter le moment où les contribuables devront couvrir les pertes.