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Dans les cuisines du BNB, la tambouille a une drôle d’odeur

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Mis à jour par
Célia Simon

09 octobre 2025 20:00 CET
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Le BNB, jeton maison de Binance, caracole aujourd’hui parmi les plus grosses capitalisations crypto. Sa trajectoire est spectaculaire — et, pour certains, suspecte. Loin de la cuisine ouverte, la « recette » mélange des mécanismes totalement légitimes (utilité, brûlages,staking), des incitations marketing redoutables (Launchpad/Launchpool), et une couche d’opacité héritée des déboires réglementaires de l’ex-géant. Décryptage des ingrédients qui, ensemble, peuvent créer une pression acheteuse durable et un flottant de plus en plus mince — avec, au passage, des angles morts éthiques.

1) Le brûlage, un parfum de rareté… calibré pour le prix

Le cœur de la tokenomique BNB, ce sont deux brûlages, ou burns :

  • BEP-95 (burn en temps réel) : une part des frais de gaz de BNB Chain est détruite à chaque bloc. Plus l’activité on-chain grimpe, plus on brûle de BNB.
  • Auto-Burn trimestriel : une formule détruit périodiquement du BNB en fonction du prix du BNB et de l’activité du réseau. Lorsque le prix baisse, la quantité brûlée augmente mécaniquement. En théorie, cela amortit les chocs en raréfiant l’offre lorsque le sentiment se dégrade.
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Binance et BNB Chain mettent en avant la « transparence auditable » des brûlages et la séparation avec l’exchange centralisé. Mais sur le plan économique, l’effet est clair : le stock disponible régresse structurellement, ce qui peut soutenir le prix — même si la demande organique ne croît pas au même rythme. Ce caractère pro-cyclique (brûler davantage quand le prix faiblit) alimente un débat : ingénierie de stabilité ou gestion de l’image du prix ?

2) Launchpad/Launchpool : incitations qui créent la pénurie

Deuxième ingrédient majeur : l’accès privilégié aux ventes de tokens (IEO) et aux « farms » de nouveaux projets via Launchpad/Launchpool. Pour participer, il faut détenir et/ou verrouiller du BNB (et parfois FDUSD). Résultat : au moment des campagnes, des masses de BNB sont immobilisées pour des jours ou des semaines, donc retirées du marché. L’UX s’est encore simplifiée en 2025 (tableaux de bord unifiés), ce qui renforce le réflexe de lock-up.

C’est légal, annoncé et apprécié des utilisateurs. Mais d’un point de vue d’éthique de marché, cela s’apparente à une ingénierie de la demande : l’accès à l’« alpha » primaire (listings, airdrops) reste conditionné à la détention du jeton maison, réduisant le flottant et orchestrant des fenêtres de rareté récurrentes. Même la communication officielle souligne que ces produits « créent une forte pression acheteuse » et « verrouillent l’offre ».

3) Earn, staking, produits à rendement : la cuisine des « sinks »

Le troisième volet, c’est l’écosystème Earn : staking délégué, locked staking, BNB Vault, Auto-Invest… Tout concourt à inciter le détenteur à ne pas vendre (pénalité en cas de retrait anticipé, bonus de rendement si l’on prolonge). À l’échelle, cette architecture agit comme un réseau de bassines où l’on canalise la liquidité sortante.

Pour BNB, cela signifie moins d’offre sur carnet, plus de friction à la vente, et donc un prix moins élastique.

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4) Narratif et métriques « pro-BNB » : l’assaisonnement communication

Comme tout actif, BNB vit aussi d’un récit. Les billets de blog officiels et les « posts » communautaires mettent en avant des records d’activité (adresses actives, DAU, volumes DEX) et un cercle vertueux supposé entre utilité, yield et brûlage. Dans la pratique, cela oriente les attentes et justifie la thèse « BNB défie la baisse ». L’odeur de tambouille apparaît quand les sources sont internes et qu’elles concluent sur des cibles de prix ou un « price discovery » accéléré. Le mélange marketing + mécanique de rareté peut mimer un momentum organique.

5) Le passif réglementaire : soupçon d’arrière-cuisine

Impossible de parler d’éthique sans rappeler le contexte judiciaire : en novembre 2023, Binance et son fondateur ont plaidé coupable à des violations pénales (AML/BSA), avec une amende globale de 4,3 milliards de dollars et la mise sous monitoring indépendant. Changpeng Zhao a quitté la direction et a été condamné en 2024. Même si ces affaires ne portent pas directement sur BNB, elles pèsent sur la confiance et alimentent l’idée d’une culture d’entreprise trop tolérante avec les zones grises.

S’ajoute la plainte de la SEC (juin 2023), qui allègue (entre autres) des volumes artificiels via wash trading sur Binance.US par Sigma Chain, et des mélanges de fonds (Merit Peak). Là encore, ce sont des allégations dans une procédure civile, contestées par la défense ; mais leur existence nourrit un soupçon général sur la gouvernance des entités liées à Binance — et donc, par ricochet, sur la qualité du prix du jeton maison.

6) Où finit l’ingénierie, où commence la manipulation ?

Posons la question frontalement : à partir de quand un design de tokenomique et de produit — brûlage, lock-ups, prior access — déborde vers une manipulation ? Quelques lignes rouges utilisées par les régulateurs et les bourses traditionnelles peuvent nous guider :

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  • Créer artificiellement de la demande au moyen d’avantages captifs (accès à des ventes exclusives conditionné à la détention du jeton émis par l’opérateur), c’est légal si c’est divulgué, mais problématique quand l’opérateur est dominant et intègre ses propres métriques de succès dans le narratif du prix. Ici, Launchpad/Launchpool et le BNB-only pour certaines opérations resserrent la vis.
  • Réduire le flottant via brûlage et sinks (staking, vaults, produits à verrouillage) est classique en crypto, mais l’Auto-Burn indexé au prix entretient une ambiguïté : la quantité brûlée augmente quand le marché devient nerveux, ce qui donne un signal que l’offre se « défend » — un effet cosmétique possible sur la psychologie des investisseurs.
  • Mauvaise gouvernance/market-making interne : les allégations SEC sur Sigma Chain/Merit Peak ne visent pas la formation du prix du BNB en particulier, mais elles montrent qu’un opérateur lié peut influencer volumes et carnets sur sa propre plateforme — exactement le type de conflit d’intérêts qui détraque la confiance prix.

7) La dynamique auto-entretenue : quand la sauce prend

Ajoutez à cela la hausse générale du marché en 2025 et la surperformance de BNB commentée par la presse économique : la sauce prend. Les burns retirent de l’offre, Launchpad/Launchpool bloquent l’invendu, Earn lisse les velléités de vente — et les posts officiels et rapports d’écosystème entretiennent l’idée que « tout va bien, l’activité explose ». Difficile, pour un investisseur non spécialiste, de distinguer la demande d’usage (gaz, dApps) d’une demande d’accès (IEO, rendements), voire de la demande narrative (FOMO).

8) Éthique : ce que ferait une bourse « classique »

Dans les marchés régulés, les opérateurs évitent :

  1. de lier l’accès aux meilleures émissions à l’achat du titre maison,
  2. de piloter la rareté par des programmes pro-cycliques indexés au prix,
  3. de s’auto-citer comme source principale de métriques de succès.
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À l’aune de ces standards, la « tambouille » BNB pose trois problèmes éthiques : (i) la captivité de la demande, (ii) la compression du flottant via brûlages et verrous, (iii) la communication issue d’entités intéressées au succès du jeton.

9) Ce que l’investisseur peut faire (hygiène)

  • Distinguer les couches de demande : utilité-réseau (paiement du gaz, dApps) vs avantages d’accès (Launchpad/Launchpool) vs yield (Earn). Si le prix tient surtout par l’accès et le yield, méfiance.
  • Suivre le flottant effectif : volume de BNB verrouillé (staking/Launchpool) + rythme des burns. Une offre trop comprimée rend le prix sensible à des chocs de liquidité.
  • Diversifier les sources de données : ne pas se contenter des blogs/« Square » de Binance ; croiser avec Kaiko (liquidité, profondeur), presse d’enquête (Reuters), et documents judiciaires (SEC/DoJ).
  • Cartographier les conflits d’intérêts : quand l’émetteur du jeton maîtrise l’accès, les incitations, les listings, les métriques et la com’, c’est une concentration de pouvoirs qui appelle un rabais éthique dans l’évaluation.

Verdict

BNB n’est pas un « miracle » opaque. C’est une ingénierie sophistiquée : brûlages qui créent la rareté, produits qui verrouillent l’offre, incitations qui fabriquent la demande, et une communication qui oriente le récit. Pris isolément, chacun de ces éléments est défendable. Pris ensemble, ils biaisent la formation du prix et confèrent au jeton maison un avantage structurel difficile à répliquer par des actifs non liés à un opérateur dominant. C’est ici que la tambouille dégage une drôle d’odeur : ce n’est pas forcément illégal, mais la frontière entre design de produit et gestion de prix devient trop poreuse pour prétendre à une éthique de marché exemplaire.

Note : certaines affirmations évoquées relèvent d’allégations (SEC) ou de communications d’entreprise (blogs BNB/Binance). Les sources tierces et officielles sont référencées ci-dessous pour lecture critique.

La morale de l’histoire : Si la soupe est bonne, les clients sont contents.

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