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“Si vous voulez éteindre Bitcoin, il va falloir éteindre Internet” : Interview avec Christophe De Beukelaer

7 mins
Mis à jour par Célia Simon
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Christophe De Beukelaer a gagné en notoriété dans l’univers de la blockchain lorsqu’il s’est engagé au début de l’année 2022 à recevoir son salaire de député bruxellois en Bitcoin (par une conversion mensuelle). Il est ainsi devenu le premier député en Europe à “toucher son salaire en cryptomonnaie.”

Ingénieur de gestion et membre du parti Les Engagés, Christophe De Beukelaer a co-fondé la Brussels Blockchain Week et est très actif en matière de “crypto cohabitation”. Il a accepté de répondre aux questions de BeinCrypto :

  • Depuis un an, vous acceptez votre salaire en Bitcoin. Avez vous des regrets ou est-ce un réussite ? Un symbole ?

Non je n’ai pas de regret. Je pense que c’est justement un acte politique fort. En effet, ce n’était pas un acte financier mais un acte politique de convertir pendant un an mon salaire en Bitcoin, car il y a derrière cela une réelle vision politique. J’ai envie de mettre à l’agenda politique la question de la culture financière, l’accessibilité financière et l’innovation.

J’ai essayé de le faire également d’autres manières : via diverses conférences, j’ai posé des questions au parlement. Mais j’ai du constater que les lignes ne bougeaient pas beaucoup. J’ai ainsi décidé de poser cet acte politique fort pour élever les consciences et démontrer aux citoyens, à mes collègues, aux décideurs publics et privés que quelque chose était en train de se passer. Je voulais leur montrer qu’on ne pouvait pas se permettre de rater ce grand tournant digital, monétaire et social qu’est la décentralisation de toute notre société.

Christophe De Beukelaer

Oui c’est un symbole, je tiens à rester clair, ce n’est pas un acte financier. Je n’incite pas qui que ce soit à investir leur argent de telle ou telle manière. Par contre, j’incite à la réflexion, à la formation, au fait que l’on prenne en compte cette nouvelle donne. De cette façon, les questions monétaires ne seraient pas uniquement abordées par une poignée de personnes, économistes et financiers dans les grandes banques, dans les banques centrales, mais elles deviendraient un enjeu démocratique et social. C’est pour cela que je voulais en temps qu’homme politique poser cet acte.

  • Pensez-vous que la DeFi (Decentralized Finance) doit remplacer la finance traditionnelle (finance centralisée) ou que les deux doivent cohabiter ?

C’est une bonne question. Si je pouvais changer quelque chose dans mon acte politique, ça aurait été de changer seulement la moitié de mon salaire en Bitcoin. Ça aurait été plus clair. Pas pour des raisons financières, car j’étais prêt à poser l’acte politique. Mais je pense que l’acte politique aurait été plus fort en disant que je prenais la moitié de mon salaire en BTC pour démontrer vraiment ma vision politique. Celle-ci étant que je pense que demain les deux types de finances vont cohabiter.

On va continuer à avoir une finance centralisée, gérée par les états, qui va permettre de piloter une partie de l’économie, et de piloter notre société à certains endroits où c’est nécessaire mais qu’à côté de ça, on va avoir une finance décentralisée (DeFi) qui va se développer et qui va forcer la finance centralisée à un peu plus de mesure, à un peu plus de raison dans sa gestion. Selon moi les deux vont cohabiter, on ne peut pas prédire ce qui arrivera après mais dans un premier temps elles vont cohabiter.

D’ailleurs, j’incite toujours lorsque je parle à des assemblées de crypto-enthousiastes, je leur dis toujours de ne pas se positionner contre le monde financier traditionnel mais plutôt de travailler avec et de petit à petit trouver sa place. Le grand enjeu n’est pas de savoir si la finance décentralisée va apparaître ou non, elle est déjà là. Si vous voulez éteindre Bitcoin, il va falloir éteindre Internet. On ne va pas faire ça, et tant qu’Internet existe, Bitcoin existera aussi. Les chiffres montrent de toute manière une adoption croissante.

La seule manière pour la finance centralisée de s’en sortir c’est de collaborer. C’est de voir où la finance décentralisée est plus forte et plus pertinente, et à l’inverse sur quels sujets la finance centralisée est préférable. Le but étant donc de créer des ponts entre elles afin de s’assurer que toutes la richesse qui circule sur la finance décentralisée contribuent aussi à nos sociétés et au financement des services publics. Il faut donc des liens entre les deux, c’est ça l’enjeu des prochaines années. Même si les choses peuvent changer sur le long terme, je pense qu’à moyen terme on aura une cohabitation des deux. C’est en tout cas de l’appel de mes voeux.

  • En dehors des cryptomonnaies, la technologie Blockchain apporte la possibilité de créer des organisations autonomes décentralisées. (DAO). Selon vous, est-ce un modèle de gouvernance viable pour nos sociétés ?

Je pense qu’il faut bien se rendre compte que la blockchain a commencé à être popularisé il n’y a pas si longtemps, environ une grosse dizaine d’années. On en est seulement aux balbutiements de cette technologie et ce qu’elle peut apporter.

Je pense que les Organisations Autonomes Décentralisées (DAO) sont encore précaires dans leur fonctionnement, et si certaines choses sont possibles et certaines évolutions ont déjà eu lieu, je pense que tout ça va encore évoluer pour aller extrêmement loin. On ne peut donc pas encore décider si oui ou non il s’agit d’un mode de gouvernance viable. Oui, pour certaines choses, ça l’est. Mais je ne pense pas qu’aujourd’hui, en dehors de ces prototypes qui fonctionnent à petite échelle, on puisse être prêt à ce que les DAO remplacent tous les modes de gouvernance dans notre société, ça prendra beaucoup de temps. On doit accepter cela.

C’est très bien que certains testent, essaient. Par contre, nos pays doivent être pionniers, l’Europe doit être pionnière la-dedans. Je serais très heureux qu’en Belgique, on crée un cadre régulatoire test, à l’instar de SandBox, où on donnerait une certaine autonomie juridique et reconnaissance aux DAO en temps qu’organisations à part entière. Ça pose de nombreuses questions, et défis juridiques et techniques mais on doit aborder ces questions. Si la Belgique le faisait, ce serait un premier pas vers l’attraction d’investisseurs et de dynamisme du Web 3 dans le pays.

Nous devons essayer d’être précurseurs dans ces domaines pour montrer que Bruxelles et la Belgique sont des endroits “Web 3 friendly” et que nous sommes accueillants et dynamiques sur ces sujets là .

  • Le développement durable vous tient à cœur. La technologie blockchain peut-elle y jouer un rôle positif malgré l’image environnementale négative de Bitcoin et la volonté des Etats Européens d’interdire la POW (Proof of Work) ?

Oui, en effet ; le développement durable, la lutte contre le dérèglement climatique sont au coeur de mon engagement politique. Je pense par contre que regarder la blockchain avec cet oeil là n’est pas indiqué. Pour quelles raisons? Et bien, il faut toujours voir à quoi sert la technologie. Je suis pour la justesse numérique. C’est-à-dire utiliser le numérique là où c’est nécessaire et là où c’est juste.

Christophe De Beukelaer

Dans le cas de Bitcoin, on aborde un problème fondamental qui est éminemment social, démocratique et qui pose la question de l’accessibilité à la finance et du rôle de la finance dans notre société. La finance est le sang de notre économie. Bitcoin a un rôle à y jouer, pas pour remplacer le système financier en entier mais pour venir remplacer et améliorer certaines parties.

On peut consentir de la dépense énergétique lorsqu’il y a un rôle important derrière. Si on regarde le fonctionnement des banques centrales aujourd’hui et leurs politiques monétaires de ces dernières années, on fait plus de mal à la planète que ce que pourrait faire une blockchain comme Bitcoin. Pourquoi? Parce qu’en fait avec l’impression monétaire qu’on a, le “quantitative easing”, où chaque fois qu’on a peur que l’économie s’enraye, on ré-injecte de l’énergie dans le système en imprimant de la monnaie, en fait ça revient à inciter les gens à consommer.

Donc, au lieu de régler les problèmes structurels de l’économie, au lieu de faire les réformes nécessaires, il s’agit en fait d’une fuite en avant. Une fuite en avant qui nourrit le consumérisme et le matérialisme. Ça fait longtemps que nombreux sont ceux qui se demandent comment sortir de cette société de consommation, seulement personne n’a vraiment de solution et on entends toujours que “le capitalisme est le moins mauvais des systèmes”.

Et en effet on arrive pas à inventer quelque chose de nouveau? Et bien je pense que la blockchain peut être un premier pas vers cette nouvelle économie qui n’est pas basée uniquement sur la croissance de la consommation. Parce que Bitcoin, contrairement aux fiat (monnaies gouvernementales), est déflationniste dans son essence car le nombre de BTC est limité par avance dans son code, et on ne peut donc pas ajouter ou imprimer des bitcoins comme on veut. Ça en fait une monnaie fondamentalement différente des monnaies traditionnelles et je pense que c’est ainsi quelque chose qui va nous aider à sortir de cette société de consommation, qui est la véritable source du problème de la crise climatique que l’on vit.

D’autres rentreront mieux dans le détail que moi mais je pense qu’il y a d’autres considérations. Il faut comparer la dépense énergétique de Bitcoin avec la dépense énergétique du système financier traditionnel qui est beaucoup plus élevé bien sûr.

Deuxièmement le système de Proof Of Work et du minage Bitcoin est fait de telle sorte que les mineurs sont incités à utiliser l’électricité renouvelable qu’il y a en surplus près des centrales hydroélectriques notamment, donc on voit que l’électricité utilisé par les mineurs est en train de se verdir de manière super rapide.

Troisièmement, on est encore au tout début de cette technologie, mais il y a déjà des avancées impressionnantes qui sont faites. Certains changent de mécanisme de consensus, qui passe au Proof of Stake ; c’est une des options. Et il y a aussi le Proof of Work, notamment Bitcoin qui avance très fort avec le Lightning Network. D’autres avancées technologiques auront lieu, et il est d’important de suivre la capacité de cette technologie à évoluer.

  • Quels sont vos prochains projets dans le domaine de la blockchain ?

Dans mes projets autour de la Blockchain, j’ai surtout envie de vous parler de la Brussels Blockchain Week puisque la première édition a eu lieu en juin 2022, et la prochaine aura lieu du 8 au 11 juin 2023. C’est vraiment un moment fondateur où tout l’écosystème contribue, avec des rencontres, des conférences, formations et workshops.

L’idée c’est de non seulement donner un point de rendez-vous à tous les férus de la Blockchain, à toutes les entreprises belges et européennes, mais aussi d’utiliser la marque Bruxelles comme d’un tremplin pour qu’un vrai dialogue s’installe entre les institutions européennes et le monde entrepreneuriales de la blockchain. Également d’être le marche pied pour la population qui ne s’y connait peu, ou pas encore, mais a envie de comprendre comment le Web 3 va changer leur vie, leur travail et la société. 

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Victor Tamer
Après des études de droit, puis de commerce en France, aux Etats-Unis et en Italie ainsi qu’un début de carrière américain et français, Victor s’intéresse rapidement au Web3 et devient d’abord traducteur dans le domaine puis rédacteur. Aujourd’hui il est responsable des partenariats et ambassadeur sur le terrain pour BeinCrypto. Victor est également photographe de mode.
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