La montée de la tokenisation des actifs du monde réel (RWA) redéfinit les marchés d’investissement traditionnels, ouvrant de nouvelles opportunités dans des secteurs au-delà de la finance. Bien que la tokenisation se soit historiquement concentrée sur l’immobilier, les métaux précieux et l’art, la capacité de tokeniser des biens de luxe tangibles émerge désormais comme une force transformatrice dans l’industrie.
BeInCrypto s’est entretenu avec Harley Foote, PDG et cofondateur de CryptoAutos, un projet de premier plan sur le marché des RWA de voitures de luxe, afin de comprendre ce qui motive la montée de ce nouveau phénomène et ses perspectives d’avenir.
Croissance du marché RWA et potentiel futur de ce secteur
La tokenisation des actifs du monde réel a émergé comme l’un des récits dominants de l’industrie crypto ces dernières années.
Pour rappel, la tokenisation utilise la blockchain afin de créer des représentations numériques d’actifs du monde réel, permettant de fractionner la propriété des actifs en question. Cette approche permet ainsi de démocratiser l’accès à des actifs coûteux en les divisant en tokens plus abordables et divisibles.
L’immobilier, les matières premières, l’art, les actifs financiers et les métaux précieux sont les actifs du monde réel les plus couramment tokenisés. En 2024, la taille totale du marché des actifs tokenisés a atteint 186 milliards de dollars, marquant une augmentation de 32 % par rapport à l’année précédente, selon un rapport de la Tokenized Asset Coalition.
« Le marché des RWA a explosé l’année dernière en raison d’une conjonction parfaite de tendances macroéconomiques, d’avancées technologiques et d’un changement de sentiment des investisseurs. L’intérêt institutionnel pour les actifs basés sur la blockchain, les ETF devenant, oserions-nous dire, la norme, une clarté réglementaire améliorée dans les juridictions clés, et le besoin croissant de liquidité dans des marchés traditionnellement illiquides ont tous contribué à cette accélération », a expliqué Foote à BeInCrypto.
Les perspectives de l’industrie pour l’avenir restent prometteuses. Selon le cabinet de conseil allemand Roland Berger, la valeur des actifs tokenisés devrait dépasser 10,9 billions de dollars d’ici 2030, avec l’immobilier, la dette et les fonds d’investissement en tête des trois catégories d’actifs tokenisés.
La valeur des actifs tokenisés atteindra au moins 10,9 billions de dollars d’ici 2030. Source : Roland Berger.
Avec la croissance de la tokenisation des RWA, de nouvelles catégories d’actifs émergent à leur tour.
L’essor des biens haut de gamme tokenisés
La tokenisation des biens de luxe, tels que les “supercars”, les yachts, les jets et les montres haut de gamme, devient une tendance transformatrice difficile à ignorer.
« Initialement, les RWA se concentraient sur la tokenisation d’instruments financiers comme les obligations, l’immobilier et les matières premières, ce qui semblait logique. Cependant, à mesure que la technologie a mûri et que les investisseurs ont ouvert les yeux et aiguisé leur appétit, nous assistons à une expansion vers des actifs tangibles disposant d’une rareté intrinsèque et d’une forte demande sur le marché, tels que les voitures de luxe, l’art et les objets de collection. Les supercars, par exemple, étaient traditionnellement réservées aux individus ultra-fortunés, mais cela appartient désormais au passé grâce à la tokenisation », a expliqué Foote.
En 2020, la startup crypto CurioInvest a annoncé la vente de tokens représentant une propriété fractionnée d’une Ferrari F12 TDF édition limitée de 2015. Ces tokens ont été proposés au prix de 1 $ chacun, pour un véhicule évalué à plus de 1 million de dollars. La société a également annoncé son intention de tokeniser 500 voitures de luxe, qu’elle prévoyait de stocker dans un entrepôt à Stuttgart.
En 2023, Cloud Yachts a pour sa part introduit une approche novatrice dans l’industrie du yachting en lançant une expérience tokenisée liée aux superyachts.
La société NFT a ainsi tokenisé un super yacht Sunseeker de 94 pieds, dans le but d’offrir des croisières de luxe à des individus pour un coût comparable à une soirée à Miami. Elle a vendu chaque NFT pour 500 $, accordant aux acheteurs une croisière autour de Miami sur le Sunseeker 94 pendant un an.
Les véhicules de luxe tokenisés
Plus tôt ce mois-ci, CryptoAutos a acquis une collection de voitures de luxe de location d’un montant de 20 millions de dollars à Dubaï, laquelle comprend des modèles Lamborghini, Ferrari, Porsche et Rolls Royce en édition limitée. Les clients auront l’opportunité de gagner des USDT grâce à la vente et à la location de ces véhicules.
Selon Foote, les biens de luxe, en particulier les supercars, sont des produits idéaux pour la tokenisation par rapport à d’autres classes d’actifs.
« Contrairement aux actifs financiers de niche, les véhicules de luxe ont un attrait et une reconnaissance universels, ainsi qu’un marché mondial liquide qui attire une grande variété d’acheteurs. Ce qui distingue les supercars des autres actifs de luxe, comme l’art ou les bijoux, c’est leur potentiel à générer des revenus grâce à des modèles de location ou de propriété partagée, transformant ce qui était traditionnellement un actif statique en un investissement générateur de revenus. De plus, les supercars servent souvent de couverture contre l’inflation. Tout comme les grands vins ou les montres classiques, les supercars ont tendance à surperformer les investissements traditionnels lors des ralentissements économiques », a-t-il expliqué.
La tokenisation des actifs trace ainsi un chemin unique vers une plus grande inclusion financière, ce en décomposant la propriété en fractions.
Démocratiser la possession d’actifs de luxe
Les véhicules de luxe sont appelés de la sorte parce que seules les personnes ayant un revenu disponible de plusieurs millions peuvent se permettre d’en posséder un. La tokenisation permet cependant de changer cela.
« Les investissements traditionnels dans les voitures de luxe ont été réservés aux collectionneurs élitistes qui disposent du capital nécessaire pour acheter et entretenir des véhicules rares. Auparavant, il fallait payer pour l’ensemble du véhicule, mais la tokenisation permet d’en démocratiser l’accès. Ces nouveaux modèles peuvent permettre aux investisseurs de posséder une part d’actifs de grande valeur avec un capital minimal, de négocier leurs parts sur des marchés liquides plutôt que d’attendre la revente complète d’un véhicule et de générer des revenus passifs grâce à des rendements basés sur la location », a expliqué Foote à BeInCrypto.
Plusieurs supercars sont par ailleurs des éditions limitées, ce qui les rend particulièrement adaptées à la tokenisation.
« Le marché automobile général est certainement un actif dépréciant ; une fois que [les véhicules] sont produits en masse, ils sont vendus et conservent rarement leur valeur. Mais il s’agit là de supercars, des hypercars à production limitée et des modèles classiques. [Elles] sont particulièrement bien adaptées à la tokenisation en raison de leur rareté inhérente, de leur exclusivité et de leur forte attractivité de marque mondiale. Les séries de production limitées couplées à la demande des collectionneurs augmentent naturellement l’appréciation de la valeur au fil du temps », a ajouté Foote.
La croissance des produits de luxe dans l’industrie RWA attire l’attention des investisseurs en dehors du secteur crypto, influençant potentiellement l’adoption généralisée des RWA dans la finance traditionnelle.
« Les RWA de luxe servent de pont entre les investisseurs traditionnels et la finance basée sur la blockchain. Nous voyons les progrès actuels vers la tokenisation des actifs de luxe, comme les supercars, les yachts et d’autres articles, s’accélérer à mesure que l’adoption des RWA par le grand public se concrétise », a déclaré Foote.
La dépendance de ces actifs à la technologie blockchain inspire également une plus grande confiance parmi les investisseurs qui envisagent les produits de luxe comme un moyen de diversifier leurs portefeuilles.
Le rôle de la blockchain dans la réduction des risques
Dans le commerce d’actifs de grande valeur, la technologie blockchain peut aider à assurer la transparence, la liquidité et la sécurité.
Selon Foote, la blockchain permet d’éliminer intrinsèquement de nombreuses inefficacités et risques associés à la propriété d’actifs traditionnels, ce en fournissant à la source une propriété transparente.
« Chaque actif tokenisé est enregistré sur la chaîne, garantissant un historique de propriété clair qui aide à prévenir la fraude. Contrairement aux méthodes traditionnelles, les investisseurs peuvent échanger des parts fractionnées de supercars, éliminant au passage le besoin de longs processus de revente. Et grâce à la rapidité de la technologie blockchain, vous n’avez pas à attendre plusieurs jours que les banques valident votre argent ; vous pouvez acheter votre voiture en quelques clics », a-t-il expliqué.
En parallèle, les contrats intelligents accélèrent davantage le processus et réduisent les risques.
« Les contrats intelligents appliquent les accords juridiques, les modèles de partage des revenus et les mécanismes de gouvernance, réduisant le besoin d’intermédiaires. Par ailleurs, les transactions sont immuables et à l’épreuve des altérations, renforçant la confiance des investisseurs », a ajouté Foote.
Certaines juridictions créent des structures réglementaires pour permettre une participation en toute confiance des investisseurs, ce en réponse à la croissance de la tokenisation des actifs de luxe.
Quels cadres réglementaires pour la tokenisation des RWA ?
Différentes juridictions aux quatre coins du monde ont mis en place des réglementations pour ce marché émergent, permettant un accès pour les investisseurs aux RWA tokenisés.
« Les cadres réglementaires varient considérablement. Dubaï, la Suisse et Singapour se sont imposés comme des juridictions favorables à la tokenisation des actifs, fournissant des cadres juridiques clairs et une protection pour les investisseurs. En parallèle, les États-Unis et l’UE affinent davantage leurs réglementations en matière de RWA, mais nous voyons des signes prometteurs, notamment aux États-Unis sous la nouvelle direction », a expliqué Foote à BeInCrypto.
En novembre 2024, l’Autorité Monétaire de Singapour (MAS) a introduit de nouvelles mesures pour permettre la commercialisation des actifs tokenisés. Ces mesures comprenaient notamment la mise en place de réseaux commerciaux conçus pour améliorer la liquidité des actifs tokenisés.
La MAS a également annoncé des plans visant à développer un écosystème d’infrastructure de marché et a établi des cadres industriels pour la mise en œuvre et le règlement des actifs tokenisés.
En parallèle, la Suisse reste un pays pionnier dans le secteur de la tokenisation, soutenue par sa structure légale complète pour les actifs numériques. La loi suisse sur la DLT de 2021 a notamment permis la tokenisation sécurisée et conforme de divers types d’actifs, attirant des participants internationaux sur son marché.
Bien avant Singapour et la Suisse, Dubaï a été la première juridiction au monde à instaurer une réglementation claire pour les actifs tokenisés. En 2020, elle a en effet établi l’Autorité de Régulation des Actifs Virtuels (VARA), une entité réglementaire qui supervise les actifs virtuels.
Cette autorité se concentre sur la régulation de divers actifs virtuels qui englobe les produits tokenisés, les cryptomonnaies et les tokens de sécurité. La mise en place de la VARA a ainsi apporté une clarté réglementaire sur ce marché, créant un environnement sécurisé pour que les entreprises et les investisseurs explorent ces actifs tokenisés.
« Dubaï devient rapidement un hub mondial pour les actifs de luxe tokenisés grâce à des réglementations progressistes, une forte demande des investisseurs et un écosystème crypto florissant. Nous avons vu de nombreux projets comme Mantra, Reelly, et bien sûr, nous-mêmes, prendre des engagements de taille envers les opérations RWA à Dubaï et jusqu’à présent en 2025 », a déclaré Foote.
Cependant, avant d’investir dans des biens de luxe tokenisés, il est important de considérer les risques associés.
Risques et perspectives d’avenir
Bien que certains pays aient établi des cadres réglementaires clairs pour les actifs virtuels, ce n’est pas le cas de la majorité des nations du monde. Le paysage réglementaire mondial concernant la tokenisation reste encore en développement.
Les potentiels changements de réglementation pourraient avoir un impact sur les actifs tokenisés, obligeant les investisseurs à se maintenir informés sur l’évolution de l’environnement juridique.
Par ailleurs, les actifs tokenisés, comme d’autres investissements, sont sensibles aux fluctuations du marché. Bien que la tokenisation puisse améliorer la liquidité, elle ne réduit pas la volatilité inhérente des marchés d’actifs, en particulier l’immobilier et les matières premières.
« Nous ne nous déroberions jamais aux risques impliqués, comme dans tout marché. Certains éléments, tels que la volatilité du marché et les conditions économiques générales, peuvent impacter la demande. Tout comme les coûts d’entretien, surtout avec les voitures de collection du fait des exigences d’un entretien minutieux. Il y a également l’éléphant dans la pièce : l’incertitude réglementaire. L’évolution des lois et des réglementations autour des actifs tokenisés pourrait affecter les structures d’investissement », a expliqué Foote à BeInCrypto.
Néanmoins, Foote est certain que la demande pour les biens de luxe tokenisés est présente et ne disparaîtra pas de sitôt.
« Les investisseurs recherchent de plus en plus des actifs de luxe générant des rendements qui offrent à la fois utilité et potentiel d’appréciation. C’est un véritable nouveau territoire qui s’ouvre devant nous ; nous saisissons l’opportunité à pleines mains sur ce volant et poussons le moteur au maximum », a-t-il conclu.
Bien que des défis subsistent, l’attrait des biens de luxe tokenisés en fait un marché en développement à surveiller de près.
Morale de l’histoire : Une fraction de luxe est toujours mieux qu’aucun luxe.
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