Dans une interview exclusive avec BeInCrypto, l’ancien commissaire de la CFTC des États-Unis, Timothy Massad, explique comment les initiatives crypto du président Trump et son pouvoir politique se sont considérablement chevauchés au cours de ses deux premiers mois à la Maison-Blanche.
Alors même qu’il s’apprêtait à prendre ses fonctions pour la deuxième fois, le président américain Donald Trump s’est lancé tête baissée dans une série d’expérimentations en matière de crypto. De l’approbation de World Liberty Financial (WLFI) au lancement de son meme coin, le président américain suscite de sérieuses inquiétudes quant aux conflits d’intérêts. Tim Massad, le 12e président de la CFTC, qui a servi sous Barack Obama, partage ses réflexions à ce sujet.
Un président historique pour de nombreuses raisons
Avant d’assumer son premier mandat en 2016, le président Trump a rompu avec le précédent moderne en s’écartant des normes établies en matière de conflits d’intérêts. Magnat de l’immobilier, portant un nom de famille emblématique, Trump entrait dans le Bureau ovale en tant que leader d’un empire de plusieurs milliards de dollars.
Alors que d’anciens présidents comme Jimmy Carter et George W. Bush ont pris des mesures pour se séparer de leurs entreprises en plaçant leurs actifs dans une fiducie aveugle, le président en exercice a adopté une approche différente.
Donald Trump a ainsi confié les décisions de gestion quotidienne à ses fils mais n’a pas cédé sa participation dans la propriété.
Bien qu’il ait reçu de nombreuses critiques lors de son premier mandat en raison de préoccupations liées aux conflits d’intérêts, Trump a cette fois encore refusé de renoncer à la propriété de la Trump Organization avant de prendre ses fonctions pour la deuxième fois.
Cependant, le « conflit d’intérêts » est monté cette fois d’un cran supérieur en comparaison de 2016. Aujourd’hui, ses initiatives s’étendent bien au-delà de l’immobilier ; Trump a désormais acquis une position de taille dans l’industrie crypto.
Étant donné la nouvelle position favorable de Trump envers le développement de politiques sur les actifs numériques, les acteurs à l’intérieur comme à l’extérieur de l’industrie ont commencé à se demander si ses décisions sont basées sur les meilleurs intérêts du secteur ou seraient plutôt conçues pour bénéficier à ses propres entreprises.
Quelle est la véritable implication de Trump dans World Liberty Financial ?
Bien que Trump n’ait pas de rôle direct au sein de WLFI, il apparaît sur la liste des équipes de soutien du livre blanc en tant que « Chief Crypto Advocate ». Ses trois fils, Eric, Donald Jr. et Barron, figurent également sur cette même liste.
Les rapports ont par ailleurs révélé que la famille Trump détient une participation de 75 % dans les revenus nets de la plateforme et une participation de 60 % dans la société holding. En parallèle, Trump et ses associés possèdent 22,5 milliards de jetons de l’entreprise.
Pour l’ancien commissaire de la CFTC, Tim Massad, malgré le rôle informel de Trump dans la gouvernance de WLF, sa participation dans la performance de la plateforme soulève de sérieux conflits d’intérêts.
« Je pense qu’il est sans précédent et ouvertement incorrect pour un président des États-Unis de s’engager dans des entreprises commerciales ou de permettre à sa famille et à ses associés de s’engager dans des entreprises commerciales qui peuvent être directement influencées par les politiques qu’il adopte en tant que président ou par les déclarations qu’il fait à propos de ces politiques », a expliqué Massad à BeInCrypto.
Par ailleurs, les jetons eux-mêmes sont non transférables, limitant la flexibilité financière. Bien que le projet vise à fournir aux détenteurs de jetons l’accès à une gamme de produits et services liés à la DeFi, il n’a pas encore lancé ces derniers. D’ici là, les détenteurs de jetons devront patienter jusqu’à pouvoir utiliser leurs jetons.
« Je n’ai pas encore vu de véritable cas d’utilisation ou d’utilité qui ait de la valeur pour les personnes qui investissent. Je pense donc que tout cela a simplement le caractère de profiter des gens », a ajouté Massad.
L’industrie est également de plus en plus préoccupée par la manière dont WLF ainsi que d’autres projets approuvés par Trump pourraient être utilisés pour gagner la faveur présidentielle.
Les leaders de l’industrie font par de leurs inquiétudes sur la légitimité de World Liberty Financial
Peu avant que Trump ne lance World Liberty Financial, de nombreuses figures éminentes du secteur crypto ont noté que le projet pourrait causer à Trump d’autres ennuis juridiques. Alex Miller, PDG de la plateforme Web3 Hiro, a pour sa part décrit le projet comme un « schéma de pump flagrant ».
D’autres leaders de l’industrie, tels que Mark Cuban, Max Keiser et Anthony Scaramucci, ont également critiqué la décision de Trump de procéder à la vente de jetons de WLF. L’implication de Trump dans le projet a par ailleurs intensifié les craintes que l’image publique fragile et la réputation déjà controversée de la crypto n’en souffrent que davantage.
Massad a convenu de ce dernier point, ajoutant que le développement des politiques crypto est aujourd’hui plus vivant que jamais. Le développement en cours des réglementations sur les stablecoins, les discussions ouvertes sur une réserve stratégique nationale de crypto et un groupe de travail sur les actifs numériques dirigé par le Sénat ne sont que quelques-unes des initiatives institutionnelles actuelles.
« Lui, la Trump Organization et les membres de sa famille ne devraient pas s’engager dans des entreprises commerciales qui posent de tels conflits d’intérêts flagrants, étant donné que la réglementation crypto et certains autres éléments, comme une réserve potentielle de Bitcoin, sont des questions de politique importantes aujourd’hui. Un président américain ne devrait pas s’engager du tout dans ce genre de choses à mon avis », a expliqué Massad.
Depuis le lancement du projet il y a six mois, plusieurs exemples ont émergé, lesquels ont contribué à valider ces préoccupations. Le plus notable s’est concentré sur le fondateur de Tron, Justin Sun.
L’investissement controversé de Justin Sun dans WLF
Le fondateur de TRON, Justin Sun, est devenu le plus grand investisseur de World Liberty Financial en novembre après avoir acheté pour 30 millions de dollars de jetons WLF.
Cet achat a suscité une controverse de taille. Malgré le soutient de Trump, WLFI a initialement peiné à atteindre son objectif de collecte de fonds de 30 millions de dollars lors de sa première vente publique. La disponibilité du jeton était par ailleurs restreinte, excluant le commerce général et limitant les achats aux investisseurs non américains et aux investisseurs américains accrédités.
L’investissement de Sun a cependant changé la donne pour WLFI. Peu de temps après, il est également devenu l’un des conseillers du projet. Puis, le jour de l’investiture de Donald Trump, Sun a investi 45 millions de dollars supplémentaires dans le projet, portant son investissement total à 75 millions de dollars.
Cet investissement a suscité une considérable attention. Alors que certains ont remis en question la transition rapide de Sun d’investisseur à conseiller, d’autres ont pointé son passé controversé comme un motif potentiel pour ses contributions.
En mars 2023, la SEC a déposé des accusations de fraude et d’autres violations des lois sur les valeurs mobilières contre Justin Sun et ses entreprises. Ce bagage réglementaire a conduit certains leaders de l’industrie crypto à remettre en question la pertinence de son association avec World Liberty Financial.
Le cours du Tron (TRX) a par ailleurs grimpé suite au dernier investissement de Sun dans WLF. Le TRX, qui était alors sujet à des baisses, a ainsi pu relancer ses activités de trading.
Cependant, ces conflits d’intérêts ne se limitent pas seulement à l’investissement de Justin Sun.
Participation potentielle de Binance et nouveaux conflits
Il y a moins de deux semaines, des rapports ont émergé selon lesquels la famille Trump était en pourparlers concernant une éventuelle acquisition de participation financière au sein de la branche américaine de Binance. Bien que le fondateur de Binance, Changpeng Zhao, ait discrédité ces rapports, il est facile de flirter avec la théorie à ce sujet.
Par ailleurs, Zhao pourrait également bénéficier d’un accord. En 2023, il a plaidé coupable à des accusations fédérales pour ne pas avoir mis en œuvre des mesures adéquates de lutte contre le blanchiment d’argent chez Binance.
Suite à son plaidoyer, Zhao a démissionné de son poste de PDG de Binance. Ainsi, les spéculations autour d’éventuels intérêts personnels pointent vers la possibilité d’une grâce présidentielle potentielle.
Pour Massad, des manœuvres de cet ordre s’avèrent naturelles lorsqu’un président s’implique directement dans des projets crypto.
« Je pense qu’il y a un énorme risque de conflits d’intérêts et de corruption du fait que le Président et les personnes associées à lui vendent des actifs crypto—que ce soit par le biais de World Liberty Financial ou des meme coins. Cela crée le potentiel de conflits permanents, car les personnes qui pourraient vouloir s’attirer les faveurs de l’administration pourraient acheter les pièces, » a expliqué Massad à BeInCrypto.
De son côté, Trump génère des bénéfices sur ses projets crypto chaque fois qu’il fait une annonce favorable aux actifs numériques.
Trump manipule-t-il le marché crypto ?
Début de mars, Trump a signé un décret pour établir une Réserve Stratégique Crypto et un Stock d’Actifs Numériques des États-Unis. Dans son annonce originale, Trump a déclaré que la réserve inclurait Bitcoin, Ethereum et des altcoins comme XRP, ADA et SOL.
Le marché crypto a réagi immédiatement à la nouvelle, les cinq cryptomonnaies concernées affichant de forts gains. Pourtant, l‘annonce de Trump a rapidement soulevé des inquiétudes quant à une possible manipulation du marché.
En effet, avec Bitcoin, Ethereum et XRP dans son trésor, les avoirs de WLF ont augmenté en valeur à mesure que ces actifs s’appréciaient. Cette croissance pourrait avoir renforcé la confiance des investisseurs, conduisant à une demande accrue pour les tokens WLF.
L’essor général du marché crypto et l’attention portée aux projets liés à Donald Trump ont également suscité un plus grand intérêt des investisseurs pour le WLF, contribuant à l’appréciation de son cours.
En parallèle, le meme coin de Trump (TRUMP) a lui aussi grimpé suite à l’annonce de la réserve par le Président. En effet, alors qu’au 2 mars le cours de TRUMP était de 13,55 $, affichant un volume de transactions de près de 1,2 milliard de dollars, ces chiffres ont grimpé à 17,46 $ et 3,6 milliards de dollars respectivement, après l’annonce faite le jour suivant.
Le 4 mars, cependant, le cours et le volume de transactions de TRUMP ont chuté en dessous des chiffres enregistrés seulement deux jours plus tôt.
« Je pense que les meme coins se sont apparentés à un schéma classique de pump-and-dump ou de recherche de profit. Je ne pense pas que la question devrait être, pourquoi ne pas laisser les gens investir là-dedans s’ils le souhaitent ? Bien sûr, ils devraient avoir le droit d’investir dans ce qu’ils veulent. La question est la pertinence quant à un Président des États-Unis qui vend des choses qui capitalisent sur le fait qu’il est le Président, » a détaillé Massad.
Même Vitalik Buterin, cofondateur d’Ethereum, a abordé les effets néfastes des meme coins politiques dans un post sur les réseaux sociaux publié cinq jours après le lancement de TRUMP.
« Il est maintenant temps de parler du fait que les pièces politiques à grande échelle franchissent une nouvelle ligne : il ne s’agit pas seulement de sources de divertissement, dont le préjudice est tout au plus limité aux erreurs commises par des participants volontaires. Il s’agit de véhicules pour des pots-de-vin politiques illimités, y compris de la part d’États étrangers, » a expliqué Buterin.
Étant donné la participation active de Trump dans l’industrie crypto au cours des derniers mois, une question essentielle demeure : Pourquoi Trump n’a-t-il pas été tenu responsable de ces apparents conflits d’intérêts ?
La réponse s’avère aussi courte qu’amère : parce que c’est impossible.
Trump peut-il être tenu responsable ?
Les potentiels conflits d’intérêts découlant de l’implication de Donald Trump dans l’industrie de la crypto ont attiré l’attention de diverses figures politiques, en particulier celles axées sur l’éthique gouvernementale et la surveillance.
La sénatrice américaine Elizabeth Warren a été la plus fervente opposante aux transactions de Trump dans l’industrie crypto.
Un jour avant le Sommet de la Maison Blanche sur les actifs numériques, Warren a envoyé une longue lettre à David Sacks « le Tsar Crypto » de Trump.
« J’écris aujourd’hui pour demander des informations sur la manière dont vous, en tant que ‘Tsar Crypto’ du Président Trump, avez abordé vos conflits d’intérêts, et comment vous empêcherez le Président et d’autres individus privés de profiter directement des efforts de l’administration Trump pour gonfler sélectivement la valeur de certains actifs crypto, abandonner les actions d’application de la loi liées aux actifs crypto, et déréglementer l’industrie des actifs crypto. Ces actions ont le potentiel de bénéficier aux investisseurs milliardaires, aux initiés de l’administration Trump, et aux spéculateurs au détriment des familles de la classe moyenne », a écrit Elizabeth Warren.
Cependant, peu d’autres actions peuvent être entreprises au-delà de lettres qui exigeant des réponses et des clarifications de la part l’administration Trump.
La faille légale
Les présidents américains sont globalement exemptés des dispositions sur les conflits d’intérêts. Cette exemption est basée sur des interprétations juridiques qui soutiennent que ces lois pourraient entraver la capacité du Président à remplir ses devoirs constitutionnels.
« Le problème est le suivant : le Président des Etats-Unis n’est pas soumis aux lois sur les conflits d’intérêts qui s’appliquent à la plupart des autres titulaires de postes de la branche exécutive. Il y a la clause des émoluments étrangers dans la Constitution, qui interdit d’accepter des cadeaux de pays étrangers. Il y a aussi une clause domestique qui interdit d’accepter des cadeaux du gouvernement. Mais au-delà de ces éléments, il n’est pas soumis aux normes habituelles de conflit d’intérêts. Il est donc regrettable que nous n’ayons pas ces normes applicables à un président. Je pense que si un autre président avait fait la même chose, on noterait bien plus de mécontentement », a expliqué Massad à BeInCrypto.
Ainsi, étant donné les circonstances juridiques actuelles, l’examen public et la pression politique sont les meilleurs moyens de tenir un président responsable des conflits d’intérêts potentiels.
Pourtant, malgré les exemptions légales pour les présidents en exercice, les implications éthiques des transactions crypto de Trump restent indéniables.
Alors que les lignes entre le pouvoir politique et le profit personnel ne font que s’estomper un peu plus, la nécessité de normes éthiques claires, même sans mandats légaux, devient de plus en plus urgente. Sinon, cela pourrait éroder la confiance du public à l’égard de l’industrie crypto, générant des conséquences potentiellement irréversibles.
Morale de l’histoire : Un président crypto pense d’abord à son portefeuille crypto.
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