Alors que l’armée américaine investit les rues de Washington D.C, Los Angeles et bientôt d’autres grandes métropoles, les investisseurs semblent indifférents au glissement des États-Unis vers la dictature Trumpienne. Certains commencent à murmurer que l’autocratie et le business peuvent faire bon ménage et que la bourse peut continuer à monter pendant que les libertés publiques reculent. Nous avons vérifié cette assertion en nous basant sur les exemples de la Russie, la Chine et la Turquie sur la période 2015-2025.
Entre 2015 et 2025, les places de Moscou (Russie), d’Istanbul (Turquie) et de Chine continentale ont-elles mieux récompensé les actionnaires que les grands indices démocratiques, l’Euro Stoxx et la Bourse américaine ? Et la thèse souvent entendue selon laquelle « les marchés aiment les régimes forts » résiste-t-elle aux faits ?
Méthode, périmètre et quelques précautions utiles
Comparer « des bourses » n’est jamais trivial. Trois points comptent ici :
Quel indice ?
- Russie : MOEX (rouble) et RTS (USD) pour l’activité de marché locale, tout en rappelant que la Russie a été exclue des grands indices internationaux en mars 2022 et qualifiée d’« ininvestissable » par MSCI, FTSE Russell et d’autres fournisseurs d’indices. Cela rend toute comparaison post-2022 délicate pour un investisseur international.
- Turquie : MSCI Turkey (net returns) et BIST 100 pour le contexte local.
- Chine : MSCI China (net USD), plus le rappel des épisodes de 2015-2016 (bulle puis krach) et de la reprise de l’interventionnisme réglementaire à partir de 2020-2021.
Pour la référence démocratique : S&P 500 (États-Unis) et EURO STOXX 50 (zone euro), mesurés via des ETF/factsheets donnant des rendements annualisés sur 10 ans.
Quelle devise et quel type de rendement ?
Sauf mention contraire, j’utilise les rendements annualisés sur 10 ans (2015→mi-2025) en USD quand ils existent (S&P 500, MSCI China) et en EUR pour l’Euro Stoxx, puisque c’est la devise naturelle de l’indice. Pour la Turquie, MSCI publie un 10 ans en EUR utile aux investisseurs européens ; on signale l’impact de la dépréciation de la livre sur la performance en devises fortes.
Le biais “survivant” et l’(in)investissabilité
Depuis l’invasion de l’Ukraine, les marchés russes sont fermés/restrictifs pour les non-résidents (fermetures temporaires, interdictions de vente, contrôles de capitaux), ce qui signifie que les points « cours » locaux ne reflètent plus la réalité d’un investisseur global. Toute lecture « 2015–2025 » doit intégrer ces ruptures de série.
Les repères internationaux : démocraties de référence
Sur dix ans glissants terminant au 30 juin 2025, le S&P 500 affiche un rendement annualisé d’environ 13,5 % (total return, USD). Sur la même période, l’EURO STOXX 50 tourne autour de 7,8 % (mesuré via l’ETF SPDR FEZ, en USD total return, ce qui offre une base comparable). L’écart de performance entre les États-Unis et la zone euro reste donc net sur la décennie.
Ces repères servent de « barre » à franchir pour juger si la « bourse en régime autoritaire » a été plus favorable aux actionnaires.
Chine (2015–2025) : dix ans chahutés, une performance médiocre en dollars
Trois temps forts
- 2015-2016 : la bulle puis le krach. La flambée de 2015 s’achève par une chute historique : à l’été 2015, le Shanghai Composite perd plus de 30 % en trois semaines, puis de nouveau ~8,5 % lors du « Black Monday » du 24 août. La volatilité reste extrême jusqu’au début 2016.
- 2020-2021 : reprise, puis durcissement réglementaire. Après le Covid, l’État renforce l’agenda « prospérité commune » : enquêtes, amendes, restructurations dans la tech/éducation, sécurité des données, etc. Les indices actions chinoises décrochent par rapport aux autres émergents.
- 2023-2025 : immobilier fragile, reprise hésitante. Malgré des mesures de soutien, la crise immobilière (Evergrande et consorts) et la prudence des ménages pèsent sur la valorisation boursière ; 2025 alterne rebonds et déceptions macro.
Le verdict chiffré
Au 31 juillet 2025, MSCI China affiche env. 3,8 % de rendement annualisé à 10 ans en USD (net total return) – très loin du S&P 500 et en deçà de l’Euro Stoxx. Pour un investisseur global, la décennie a été décevante en termes de primes de risque rémunérées.
Turquie (2015–2025) : flambées nominales, érosion en devises fortes
Le paradoxe turc
Vu de l’Istanbul local, « la bourse monte » — souvent de façon spectaculaire. Mais l’inflation élevée (pic > 75 % en 2024) et la chute chronique de la livre (-44 % en 2021, -29 % en 2022, -37 % en 2023, encore -16 % en 2024) rongent la performance réelle et celle mesurée en USD/EUR. Les cycles politiques (tensions, arrestations d’opposants, coups de semonce judiciaires) entretiennent une prime de risque élevée.
En mars 2025, l’arrestation du maire d’Istanbul déclenche une correction brutale (devise à de nouveaux plus bas, actions en repli), rappelant combien le politique pilote la volatilité.
Le verdict chiffré
Au 31 juillet 2025, MSCI Turkey (net, EUR) affiche env. –0,75 % annualisé sur 10 ans. En d’autres termes, dix années n’ont pas compensé l’érosion monétaire pour un épargnant européen. En USD, la performance à long terme est également faible à négative selon les fenêtres, pour la même raison : la devise.
Conclusion partielle : malgré des hausses locales impressionnantes entre 2022 et 2025, la Turquie ne bat ni l’Euro Stoxx ni le S&P 500 quand on raisonne en devises fortes, ce qui est le cas de la plupart des investisseurs globaux.
Russie (2015–2025) : de la normalisation à la rupture — un cas-limite
Avant 2022
2015–2021 ont vu des périodes de rattrapage soutenues par l’énergie ; en local, le MOEX a pu afficher des phases de bonne tenue. Certains classements « globaux » publiés début 2025 citent d’ailleurs une performance « depuis 2015 » honorable pour le MOEX… en roubles. Mais cela ne reflète pas un portefeuille en devises fortes ni les contraintes d’accès.
Février–mars 2022 : la cassure
Avec l’invasion de l’Ukraine, l’indice RTS (USD) s’effondre, la Bourse de Moscou ferme plusieurs semaines et les autorités interdisent la vente par les non-résidents. Très vite, MSCI et FTSE Russell retirent la Russie de tous leurs indices et la classent « standalone/unclassified » : marché non investissable pour la gestion d’actifs internationale. Ce statut perdure en 2025.
Après 2022
Le MOEX a connu des phases de rebond en roubles, mais elles sont peu pertinentes pour un investisseur global : restrictions, illiquidité, impossibilité d’arbitrer, dividendes/pièces bloqués, etc. En USD, la référence RTS a alterné phases de rattrapage et rechutes, toujours sous régime d’entraves. Autrement dit, on ne peut plus raisonnablement comparer la Russie à l’Euro Stoxx ou au S&P sur la période 2015–2025 du point de vue d’un investisseur international.
Bilan comparé 2015–2025 (investisseur international)
- S&P 500 (États-Unis) : ~13,5 % annualisé sur 10 ans (au 30/06/2025).
- EURO STOXX 50 (zone euro) : ~7,8 % annualisé sur 10 ans (factsheet FEZ, USD, au 06/2025).
- MSCI China (USD) : ~3,8 % annualisé à 10 ans (au 31/07/2025).
- MSCI Turkey (EUR) : –0,75 % annualisé à 10 ans (au 31/07/2025).
- Russie : non comparable (exclusion des indices globaux depuis 03/2022 ; marché « ininvestissable » pour non-résidents).
À l’échelle de cette décennie, les deux marchés “démocratiques” de référence battent clairement les trois marchés “autoritaires/contrôlés” étudiés quand on mesure en devises fortes et/ou via des indices reconnus par la gestion d’actifs.
Pourquoi cet écart ? Trois mécanismes structurels
- Risque politique et arbitraire réglementaire
La Chine illustre comment l’interventionnisme ciblant secteurs et champions nationaux (« prospérité commune ») a comprimé les multiples et accru l’incertitude, notamment depuis 2021. Turquie et Russie montrent, chacune à sa manière, comment la centralisation du pouvoir fragilise les droits de propriété effectifs et la prévisibilité (capitaux bloqués, contrôles, suspensions de marché). La littérature académique relie autocratie à rendements plus faibles et volatilité plus élevée, toutes choses égales par ailleurs. - Transparence, liquidité et gouvernance
Des travaux récents trouvent que les marchés d’autocraties sont moins liquides et plus sujets à l’asymétrie d’information (impact de prix plus fort, probabilité d’ordre informé plus élevée), ce qui renchérit le coût du capital et pèse sur les valorisations durables. - Devises et inflation
- La Turquie illustre le piège des performances locales : l’inflation érode le rendement réel et la dépréciation de la devise annule les hausses en monnaie locale quand on convertit en USD/EUR. D’où l’écart entre la « sensation » locale (BIST en hausse) et le verdict en devises fortes (MSCI Turkey à 10 ans ≈ 0 % ou négatif).
Et « l’autocratie amie des marchés » ? Ce que disent les faits (et les sources)
L’idée “les marchés aiment les régimes forts” circule dans le commentaire financier, mais les données 2015–2025 pour Chine/Turquie/Russie ne l’étayent pas par rapport au S&P 500 et à l’Euro Stoxx. Mieux : plusieurs études académiques concluent que les autocraties délivrent des rendements plus faibles et plus volatils à long terme.
Études de cas synthétiques
Chine : le prix de l’État-actionnaire
- Contexte : après le rebond post-Covid, les vagues réglementaires (edtech, plateformes, jeux en ligne, cybersécurité) et la crise immobilière ont comprimé les multiples.
- Résultat : à 10 ans (USD), MSCI China ~3,8 %/an, très inférieur à l’ACWI, au S&P 500 et même à l’Euro Stoxx. Les interventions politiques expliquent une partie de la décote.
Turquie : l’illusion nominale
- Contexte : politique monétaire erratique jusqu’en 2023, inflation extrême, chocs politiques récurrents.
- Résultat : en EUR, MSCI Turkey ≈ –0,75 %/an à 10 ans (au 31/07/2025). En devises fortes, l’érosion l’emporte.
Russie : la rupture de contrat
- Contexte : depuis 02/2022, fermetures, contrôles, interdictions de vente pour les étrangers.
- Résultat : marché non investissable pour l’épargne internationale, exclu des indices globaux (MSCI/FTSE). La comparaison « bourse vs Euro Stoxx/S&P » n’a plus de sens économique pour l’investisseur global.
Objection classique : « Mais les autocraties peuvent réformer vite »
Oui : des épisodes (privatisations, libéralisations ciblées) peuvent doper à court terme des secteurs/valeurs. Mais l’horizon 10 ans jugera surtout :
- la prévisibilité des règles,
- la protection réelle des droits des actionnaires (et la liberté d’en sortir),
- l’ancrage macro (inflation, devise),
- la profondeur de marché (liquidité, transparence).
Sur ces paramètres, les démocraties profondes (États-Unis, zone euro) partent avec un avantage empirique documenté par la littérature : plus de transparence, plus de liquidité, moindre risque de choc politique extrême. D’où, in fine, des rendements supérieurs et/ou un coût du capital plus bas.
Conclusion : la thèse « autocratie = hausse des cours » ne tient pas sur 2015–2025
Si l’on se fixe une décennie complète et que l’on raisonne comme un investisseur international :
- Les actions américaines (S&P 500) et, dans une moindre mesure, l’Euro Stoxx, surperforment nettement la Chine et la Turquie, et la Russie est hors-jeu depuis 2022 pour la plupart des investisseurs.
- Les chocs politiquement endogènes (interventionnisme réglementaire, inflation entretenue par l’arbitraire, contrôles de capitaux, fermeture des bourses) pèsent sur les multiples, la liquidité et la possibilité même de détenir des actions — la condition sine qua non pour parler de « performance ».
- La recherche académique contemporaine penche majoritairement pour l’idée que les autocraties délivrent des rendements boursiers plus faibles et plus volatils à long terme, même si des fenêtres à court terme peuvent donner l’illusion inverse.
Verdict : non, sur 2015–2025, l’autocratie n’a pas été “favorable” aux cours de bourse au sens où l’entendent les investisseurs globaux, ni en Chine, ni en Turquie, et la Russie est devenue non comparable car ininvestissable. L’idée séduisante que « les marchés aiment les régimes forts » n’est pas confirmée par les chiffres — ni par l’expérience concrète de liquidité, de droits et de convertibilité dont les actionnaires ont besoin.
La morale de l’histoire: Quand la liberté recule, les marchés baissent
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