Loïc Yvan Ayémou, pionnier de la blockchain et de la crypto en Côte d’Ivoire, a fait ses débuts dans le domaine en 2015-2016 et n’a cessé depuis de tracer un parcours inspirant. D’intermédiaire peer-to-peer au poste de Country Manager pour Izichange, il est aujourd’hui un acteur reconnu, notamment pour sa nomination aux Côte d’Ivoire Blockchain Awards. Dans cet entretien, il partage sa vision de la crypto en Côte d’Ivoire et de l’avenir de la blockchain en Afrique francophone.
Un parcours de pionnier dans la crypto en Côte d’Ivoire
BeinCrypto (BIC) : Comment avez-vous découvert la crypto, et comment ce parcours a-t-il évolué au fil des années ?
Loïc Yvan Ayémou (LYA) : “J’ai découvert la crypto autour de 2015-2016, une époque où elle restait largement méconnue dans mon environnement. À ce moment-là, il n’y avait presque personne qui connaissait ou comprenait les crypto-monnaies autour de moi. Je me souviens avoir essayé d’en parler à mes frères et amis, mais la curiosité n’était pas encore là. C’est alors que j’ai fait la rencontre de Patrick Yéboué, un acteur actif dans le domaine qui avait des connexions à travers le continent, notamment au Nigéria. Cette rencontre a marqué un tournant, car pour la première fois, j’ai vu que la crypto pouvait vraiment devenir une activité sérieuse.
Au début, je me suis lancé dans l’achat-vente en peer-to-peer. À cette époque, tout était fait en direct, sans intermédiaire numérique. Les gens voulaient voir leur interlocuteur en personne, car la confiance dans les transactions à distance n’existait pas. Cela posait des problèmes, avec des arnaques fréquentes, donc j’ai décidé d’agir comme intermédiaire, sécurisant les échanges pour éviter que mes contacts se retrouvent dans des situations risquées. Cette période m’a aussi permis de construire un réseau en Côte d’Ivoire et dans la région, un réseau de personnes intéressées à mieux comprendre et utiliser la crypto.”
Le site officiel de la Côte d’Ivoire Blockchain Awards
BIC : Après l’expérience de chez Binance en 2022, vous avez rejoint Izichange en octobre 2023. Comment ces deux rôles, l’un global et l’autre local, se complètent-ils dans votre parcours ?
LYA : “Travailler chez Binance, que j’ai rejoint en 2022, a vraiment marqué un tournant pour moi. En tant que community manager, puis Operation Manager pour l’Afrique francophone, j’avais pour mission de promouvoir la crypto dans des pays où l’adoption grandit, mais où la méfiance et les défis sont encore bien présents. J’ai pu interagir avec des utilisateurs dans plus de dix pays, organiser des événements, mettre en place des formations, et adapter nos stratégies pour rendre la crypto plus accessible. En 2023, avec mon passage en gestion des opérations, j’ai élargi mes responsabilités, travaillant avec des partenaires locaux et renforçant l’éducation autour de la blockchain. On a même fait des tournées dans plusieurs pays pour rencontrer les communautés, répondre à leurs questions, et clarifier les doutes fréquents autour de la crypto.
En octobre 2023, quand j’ai rejoint Izichange, j’ai eu l’impression de retrouver le terrain, avec une approche bien plus locale. Avec Izichange, je suis en contact direct avec les utilisateurs en Côte d’Ivoire, ce qui me permet de vraiment capter les besoins spécifiques du marché ivoirien. Ici, on met l’accent sur la sécurité et la confiance, des points essentiels pour des utilisateurs qui sont souvent méfiants, avec raison, vis-à-vis des arnaques. Mon rôle chez Izichange est de m’assurer que chaque transaction se fasse de façon sécurisée et transparente. En somme, mon expérience chez Binance m’a donné une vision large et stratégique, mais c’est avec Izichange que je peux voir l’impact concret de la crypto au quotidien. Les deux expériences se complètent bien et me confirment que, pour développer la blockchain en Afrique, il faut des solutions pensées pour le terrain, proches des réalités locales.”
La crypto en Côte d’Ivoire : état des lieux et perceptions
BIC : Comment la crypto était-elle perçue en Côte d’Ivoire à ses débuts et comment a évolué cette perception ?
LYA : “À ses débuts, vers 2015-2016, la crypto était surtout perçue comme un moyen de gagner rapidement de l’argent. Beaucoup de gens pensaient que cela permettrait de devenir riche du jour au lendemain, sans comprendre les risques. Les promesses de gains faciles ont attiré de nombreuses personnes, et cela a malheureusement ouvert la voie aux arnaques. À cette époque, les escroqueries étaient fréquentes et beaucoup de gens ont perdu de l’argent, ce qui a alimenté une certaine méfiance.
Les choses ont encore changé lorsque, vers 2019 ou 2020, le gouvernement ivoirien a émis des décrets interdisant plusieurs activités liées à la crypto, y compris le trading et certaines opérations de MLM. Cette interdiction a créé une situation de « désert » pour la crypto en Côte d’Ivoire, et de nombreux acteurs ont préféré rester discrets pour éviter tout problème légal.
Cependant, cette perception évolue. Aujourd’hui, on voit émerger des initiatives qui vont bien au-delà des transactions financières et qui s’intéressent à l’application concrète de la blockchain dans divers secteurs. Par exemple, des projets comme Cacao Block, qui vise la traçabilité du cacao, démontrent que la blockchain peut jouer un rôle clé dans l’agriculture et la transparence des chaînes d’approvisionnement. Ces exemples montrent que la blockchain n’est pas uniquement un outil de spéculation, mais un moyen d’améliorer la transparence et l’efficacité des industries.”
BIC : Quel est le rôle de la blockchain dans les secteurs économiques en Côte d’Ivoire ?
LYA : Actuellement, la blockchain est perçue de manière plus mature en Côte d’Ivoire, surtout pour son potentiel au-delà des transactions de crypto-monnaies. Nous commençons à voir comment elle peut transformer des industries essentielles comme l’immobilier, l’agriculture, et même les infrastructures. Les initiatives sont nombreuses et montrent que la blockchain peut apporter des bénéfices concrets.
Par exemple, dans le secteur agricole, des projets de traçabilité permettent de suivre les produits de la ferme jusqu’au consommateur final, offrant une transparence et une sécurité accrues. Dans l’immobilier, la blockchain peut servir à sécuriser les transactions et les titres fonciers, un défi majeur dans notre pays. L’idée est de faire comprendre que la blockchain peut être bénéfique à nos économies et à nos communautés locales, au-delà de la simple utilisation de la crypto.
Perspectives de la blockchain en Afrique francophone
BIC : Comment envisagez-vous l’avenir de la blockchain en Afrique francophone ?
LYA : Je pense que l’Afrique francophone est sur la bonne voie pour rattraper les pays anglophones. Il y a une grande demande pour les solutions locales adaptées à nos réalités, et nous voyons émerger de nombreux jeunes développeurs et chefs de projet. Des initiatives se forment pour connecter les talents à travers le continent, et je suis convaincu que cette coopération est la clé pour bâtir un écosystème blockchain solide.
À titre d’exemple, j’ai récemment participé à un programme de « blockchain breeders » au Burundi, qui cherche à établir un pont entre la communauté africaine de l’Ouest et celle de l’Est. Nous travaillons avec des développeurs, des project managers et d’autres experts pour créer des solutions répondant aux besoins locaux. C’est un environnement où le talent est abondant, mais qui manque encore de structure et de financement. La Côte d’Ivoire, grâce à ses pionniers et aux projets qui y sont développés, a tout le potentiel pour devenir un leader régional et inspirer d’autres pays de la région.
BeinCrypto : Quels sont les principaux défis pour l’adoption de la blockchain en Afrique ?
Loïc Yvan Ayémou :
“Le plus grand défi reste l’éducation et la sensibilisation. Il ne s’agit pas simplement de lancer une technologie, mais de faire en sorte que le public comprenne son utilité. En Afrique, il y a encore beaucoup de scepticisme à l’égard de la crypto-monnaie, et les gens ne perçoivent pas toujours les bénéfices que la blockchain peut leur apporter dans leur vie quotidienne. Beaucoup pensent encore que la crypto est un moyen de s’enrichir rapidement, alors que nous devons montrer que cette technologie peut avoir des applications plus profondes et plus durables.
Un autre défi réside dans l’adaptation des solutions aux réalités locales. On ne peut pas simplement copier les modèles qui fonctionnent dans d’autres régions et espérer qu’ils soient efficaces ici. Nos projets doivent tenir compte des besoins spécifiques de nos communautés. Nous devons, par exemple, expliquer comment la blockchain peut faciliter l’accès aux services financiers dans des régions où les banques traditionnelles sont peu accessibles. Cette approche plus ciblée, plus inclusive, est essentielle pour garantir une adoption réelle.”
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