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Les baisses d’impôts de Trump financent-elles le bull run Bitcoin au lieu de booster les salaires ?

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Mis à jour par Célia Simon
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Lors de la grande réforme fiscale américaine de 2017 (Tax Cuts and Jobs Act, “TCJA”), puis dans les propositions plus récentes de réduction d’impôt sur les sociétés défendues à Washington, la promesse fut la même : une baisse d’impôt libère du capital pour investir, innover et mieux payer les salariés.

Huit ans après la TCJA, les grands agrégats racontent une autre histoire. Alors où est la vérité, où est la propagande ?

La promesse politique vs la réalité financière

Le Congressional Research Service (CRS), bras analytique du Congrès, a compilé les études empiriques disponibles : « dans l’ensemble, elles ne démontrent pas d’effets significatifs de la TCJA sur l’économie » (investissement, productivité, salaires) ; un verdict prudent mais net.


Un précédent rapport du CRS concluait déjà en 2019 que l’impact macro observé en 2018 était faible et très inférieur aux promesses. Pendant ce temps, les buybacks ont explosé. En 2018, première année post-TCJA, les entreprises du S&P 500 ont restitué environ 1 000 milliards de dollars à leurs actionnaires sous forme de dividendes et de rachats, dont ~650 Mds$ de buybacks selon Goldman Sachs (et des pointages Vox/TrimTabs).

La dynamique ne s’est pas essoufflée : on note un record en 2024 autour de 942,5 Mds$ de buybacks (S&P Dow Jones Indices), puis un nouveau sommet attendu à plus de 1 100 Mds$ en 2025 d’après le Wall Street Journal. Apple et Alphabet mènent la danse.

Le Center on Budget and Policy Priorities résume crûment la trajectoire : « les buybacks dépasseront 1 000 Mds$ en 2025, selon Goldman Sachs ». De son côté, Time rappelle le cumul 2018-2022 : > 6,4 billions de dollars rendus aux actionnaires, sans translation visible vers l’investissement productif et les salaires promis.

Conclusion provisoire : la baisse du taux facial (de 35 % à 21 % en 2017) a surtout dopé les retours de cash, plutôt que d’enclencher une vague d’investissement net. Les annonces d’envergure en R&D et capex existent… mais le solde penche clairement en faveur des distributions aux actionnaires.

Alors que le Congrès américain vient de renouveler les baisses d’impôts, il est probable que les mêmes causes produisent les mêmes effets.

Les mécanismes qui poussent vers le rachat d’actions (et pas vers le salaire)

Comptabilité, rémunération, signal-prix

Un buyback réduit le nombre d’actions et augmente mécaniquement le BPA (bénéfice par action), ce qui soutient le cours. Or, une large part de la rémunération des dirigeants est indexée sur des indicateurs actionnariaux (options, RSU, cibles de BPA).

Le commissaire de la SEC Robert J. Jackson Jr. l’a dit sans fard : « un nombre substantiel de dirigeants utilisent les buybacks comme une opportunité d’encaisser leurs titres de rémunération ». Il plaide pour revoir les règles, notant des ventes d’initiés tout de suite après l’annonce de programmes de rachats.

Arbitrage fiscal

Quand le taux d’IS baisse et que les profits sont élevés, le coût d’opportunité d’un rachat baisse aussi : si l’entreprise n’identifie pas un projet d’investissement avec rendement ajusté du risque supérieur au coût total du capital, le rachat maximise la “valeur pour l’actionnaire” telle qu’enseignée dans les MBA. C’est la théorie.

L’idéologie “shareholder value”

Le critique le plus célèbre, l’économiste William Lazonick (HBR : Profits Without Prosperity) a déclaré :

« les rachats à découvert ne contribuent pas aux capacités productives de la firme ; ils transfèrent des ressources au bénéfice d’intérêts à court terme ».

Il relie buybacks massifs, sous-investissement, et concentration de richesse.

“Mais les buybacks ne sont pas le mal absolu” ; le camp des défenseurs

À l’inverse, Harvard Business Review a aussi publié “Quand les buybacks ne sont pas du gâchis” : si une entreprise n’a pas de projet d’investissement créateur de valeur au-dessus de son coût du capital, rendre du cash revient à allouer le capital là où d’autres acteurs le placeront mieux. C’est le bon usage d’un buyback.

Larry Fink (BlackRock), souvent caricaturé anti-buybacks, n’appelle pas à les interdire : il exige des dirigeants qu’ils montrent un “sens du purpose” et une stratégie long terme avant de racheter leurs titres. « Sans sens du purpose, aucune entreprise ne peut atteindre son plein potentiel. ».

Traduction

Le rachat peut être légitime (excès structurel de cash, pas de projet rentable immédiat, dilution à contrebalancer), à condition qu’il ne devienne pas le cœur du “modèle d’affaires”.

Ce que disent les chiffres… en 2024-2025

  • Record 2024 : ~942,5 Mds$ de buybacks S&P 500 (+18,5 % vs 2023). NVIDIA, Apple, Alphabet en tête.
  • Apple 2024 : buyback record de 110 Mds$ annoncé au T2 2024 — tout en publiant un CA en baisse de 4 %.
  • 2025 (YTD) : annonces de buybacks ~983,6 Mds$ au 8/2025, trajectoire > 1,1 trillion selon WSJ.
  • Taxe 1 % sur les buybacks (IRA) : n’a pas éteint le phénomène ; au contraire, 2024 marque un usage record (anticipation d’un relèvement possible du taux).

Côté macro-économie, le CRS maintient  ses prévisions: l’impact agrégé de la TCJA sur investissement et salaires reste peu probant. Center for American Progress synthétise : « la réforme n’a pas délivré les bénéfices promis en termes d’investissement ou de salaires ».

L’angle crypto : comment le cash “libéré” nourrit aussi des paris de trésorerie

Le phénomène post-2020 n’est plus marginal : des sociétés cotées convertissent une partie de leur trésorerie (ou de l’argent levé via dette/équité) en Bitcoin pour doper le narratif boursier ou chercher un “actif de réserve” alternatif.

  • MicroStrategy (rebaptisée Strategy) transforme son modèle en véhicule de trésorerie bitcoin : accumulations géantes encore en 2024-2025, via émissions d’actions et de dette ; détient > 3 % de l’offre de BTC selon Bloomberg/Yahoo Finance.
  • Tesla annonce en 2021 l’achat de 1,5 Md$ en BTC.
  • Square/Block (Jack Dorsey) achète 50 M$ en 2020 puis 170 M$ début 2021.

Le Financial Times note en 2025 que 154 sociétés cotées ont levé près de 100 Mds$ pour acheter de la crypto, souvent à la place d’investissements productifs. Il s’agit là d’une stratégie qui booste parfois l’action à court terme, mais augmente le risque systémique si le prix du BTC corrige fortement.

Dans un autre papier du FT, il est dit qu’environ 130 sociétés détiennent collectivement ~87 Mds$ en BTC (≈ 3,2 % de l’offre potentielle), souvent financés par émissions dilutives ou de la dette.

Pourquoi le lien avec les allégements fiscaux ? Parce que le coût net de telles stratégies est plus facile à absorber quand la pression fiscale diminue et que le coût après impôt du capital baisse. Et parce que, politiquement, la “tolérance” au pari crypto de trésorerie grandit lorsque le discours public pro-crypto se renforce à Washington (projets de lois, reconnaissance comptable, ETF spot).

Fidelity Digital Assets observe la montée d’allocations trésorerie→bitcoin et en décrit les logiques : diversification, liquidité 24/7, thèse “réserve de valeur” — mais reconnaît les enjeux de gouvernance/volatilité.

Trois fils rouges : pourquoi l’argent n’est pas allé d’abord aux salaires et aux investissements ?

  1. Arbitrage financier : dans un contexte de taux réels volatils et d’incertitude géopolitique, de nombreux exécutifs préfèrent un rappel de cash “immédiatement valorisable” (buyback) plutôt qu’un projet au ROI incertain.
  2. Incitations : la rémunération actionnariale (stock-based) récompense le soutien du cours (BPA) à court/moyen terme, ce que produit un buyback. Les hausses de salaires pèsent sur la marge.
  3. Narratif de marché : la preuve post-2020 est la suivante. Acheter du BTC a souvent un effet narratif instantané sur l’action (valorisation proxy du BTC), quand augmenter la paie se voit peu dans le cours.

Les contre-arguments honnêtes qu’il faut prendre au sérieux

  • Efficience du capital : HBR (pro-buyback conditionnel) affirme que si aucun projet ne franchit le coût du capital, rendre l’argent est rationnel.
  • Confiance : certains analystes lisent un programme massif de rachats comme un signal de confiance sur les cash-flows futurs (ex. banques, big tech).
  • Capex/IA en parallèle : Apple/NVIDIA/Alphabet investissent aussi massivement dans l’IA et les data centers tout en rachetant des actions — l’un n’exclut pas l’autre. (Les données de dépenses restent néanmoins hétérogènes selon secteurs.)

Le volet institutionnel : une taxe anti-buyback… trop faible ?

La taxe de 1 % sur les rachats (Inflation Reduction Act) n’a pas freiné l’essor de 2024 — au contraire, on a vu un pic (anticipation de relèvement ?). MarketWatch notait en octobre 2024 la popularité persistante des programmes malgré la taxe. Des propositions au Congrès imaginent porter la taxe à 4 % pour ré-orienter l’arbitrage vers l’investissement productif.

Citations clés d’analystes et décideurs

  • CRS (2025) : « pris dans leur ensemble, les travaux empiriques ne démontrent pas d’effets significatifs de la TCJA sur l’économie ».
  • Robert J. Jackson Jr. (SEC, 2018) : « un nombre substantiel de dirigeants utilisent les buybacks pour encaisser leurs actions de rémunération » — et appelle à revoir les règles.
  • William Lazonick (HBR, 2014/2020) : « les buybacks ne contribuent pas aux capacités productives ; ils orientent les ressources vers des gains de court terme ».
  • Larry Fink (BlackRock, 2018-2019) : « sans sens du purpose, aucune entreprise ne peut atteindre son plein potentiel » — implicitement, équilibrer buybacks et investissement/stakeholders.
  • Reuters (2025) : Apple reste le champion des buybacks (110 Mds$ en 2024).
  • FT (2025) : des sociétés achètent du Bitcoin pour booster leur cours, stratégie risquée si le cycle se retourne.

Quels effets pour les salariés et l’économie réelle ?

  • Salaires : hors secteurs en pénurie, peu de diffusion de la manne fiscale dans la paie de base ; la littérature ne montre aucun “saut” de tendance imputable à la TCJA.
  • Investissement : la décennie 2010-2020 a certes vu des capex massifs dans le cloud et la logistique, mais rien de proportionné aux ventres-pleins de cash post-TCJA dans l’ensemble des secteurs. (Le CRS nuance : effets modestes identifiables dans certains sous-segments.)
  • Volatilité : quand des trésoreries prennent du bitcoin, la volatilité du bilan augmente. Tant que le cycle est haussier, la bourse applaudit ; en cas de choc (2022, 2024…), les compressions et dépréciations s’enchaînent. (Tesla a déjà constaté des impairments liés à ses BTC.)

Faut-il interdire les buybacks ? Et que faire du “pari crypto de trésorerie” ?

Interdire purement et simplement ? Peu réaliste. En revanche, trois pistes se discutent sérieusement :

  1. Aligner mieux la rémunération dirigeante : interdire les ventes d’initiés autour des fenêtres de rachat, exiger une rétention plus longue des actions reçues — la SEC y est déjà sensibilisée.
  2. Moduler la taxe sur buybacks (1 % → 2-4 %) avec crédits d’impôt pour l’investissement productif vérifiable (capex “critique”, formation, R&D).
  3. Encadrer l’usage de crypto-actifs en trésorerie : transparence accrue, limites prudentielles (ratio max vs liquidités), stress tests de bilan. Les lignes directrices de Fidelity Digital Assets offrent une base de bonnes pratiques (gouvernance, conservation, risques).

Et maintenant ? Scénarios 2025-2026

  • Scénario A – Allégements prolongés : si la trajectoire fiscale reste pro-entreprises, on peut anticiper un nouveau pic de buybacks (> 1 T$ par an), avec une minorité croissante d’entreprises jouant la carte crypto-trésorerie pour “booster le narratif”.
  • Scénario B – Durcissement : relèvement de la taxe buybacks, remontée de l’IS, pressions ESG accrues — réallocation vers capex/IA/énergie.
  • Scénario C – Choc crypto : si le BTC corrige sévèrement, les sociétés “proxy-bitcoin” verront leur bilan comprimé, forçant des débouclages et refroidissant l’“expérimentation” trésorerie→crypto. Les warnings du FT sur le risque systémique prennent alors tout leur sens.

Verdict (provisoire) : où va l’argent ?

  • Les réformes fiscales ont bel et bien amusé Wall Street : buybacks records, rendements actionnariaux historiques.
  • Les salariés ? Pas de changement de tendance probant en salaires réels imputable à la baisse d’IS, selon le CRS et les synthèses critiques.
  • L’investissement productif ? En progrès dans certains segments (IA, data centers) mais sans “miracle TCJA” à l’échelle macro.
  • La crypto en trésorerie ? De marginal à tendance : Tesla, Block, et surtout Strategy/MicroStrategy ont montré que l’effet-cours peut être puissant… tant que le cycle crypto est porteur.

La morale de l’histoire : mieux vaut lever le pied au boulot si le boss est un crevard et réfléchir sérieusement à se faire payer en crypto.

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Jean-Martial Lefranc
Passionné de technologie et d’art contemporain, Jean-Martial Lefranc est patron de presse, journaliste, réalisateur, producteur et fondateur de start-up. Au cours de sa longue carrière, il a inventé « Maître Sega », sauvé « Dune » d’un trou noir, cofondé « Cryo Interactive Entertainment » et « TV6 », produit « Wing Commander-le Film », acheté et revendu « Fleurus Presse ». Lauréat du concours mondial de l’innovation dans le domaine du Big Data, il est le co auteur avec Daniel Ichbiah du...
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