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Crypto Polémique : pour combler les déficits, l’État peut-il saisir vos cryptos ?

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Mis à jour par
Célia Simon

21 septembre 2025 11:35 CET
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Question choc, fantasmes garantis : à l’heure des déficits qui s’empilent, la France peut-elle « prendre » les cryptos des particuliers ? Entre ce que permet déjà le droit (fiscal, pénal), ce que changeront MiCA et DAC8 (surveillance et reporting) et ce que bloque encore la technique (self-custody), la réponse est plus nuancée qu’un simple oui/non. Décryptage, chiffres à l’appui.

Combien de Français détiennent des crypto-actifs ?

Impossible d’ouvrir le débat sans ordre de grandeur. En 2023, la Cour des comptes évaluait entre 1,5 et 5 millions le nombre de personnes concernées en France, tout en soulignant la pauvreté des données administratives : seulement 20 000 contribuables ont déclaré des plus-values crypto pour 2021 (≈ 400 M€), signe d’un grand décalage entre détention et déclaration.

Côté secteur, l’étude Adan/KPMG situe la France autour de “près d’1 sur 10” adultes détenteurs (ordre de grandeur 8–10 %), tendance confirmée en 2025 par les baromètres de l’écosystème. L’AMF note de son côté une appétence croissante pour les actifs risqués chez les plus jeunes (enquête d’octobre 2024), où les cryptos figurent désormais dans le paysage des placements envisagés. Autrement dit : plusieurs millions de Français ont des cryptos, avec une pénétration particulièrement forte chez les 18–34 ans.

Combien ça pèse ? Aucune source publique n’additionne la valeur des portefeuilles français. Faute de données, on ne peut qu’estimer : si 4–5 millions de détenteurs ont un encours médian de 1 000 à 5 000 €, l’agrégat se situerait entre 4 et 25 Md€. Cette fourchette illustre surtout… le trou d’information que DAC8 doit combler (voir plus bas).

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Ce que dit le droit aujourd’hui : impôts, saisies et confiscations

1) La fiscalité des particuliers

Depuis 2019, les plus-values de cession d’« actifs numériques » par les particuliers agissant à titre occasionnel relèvent du PFU à 30 % (12,8 % IR + 17,2 % prélèvements sociaux), avec option possible pour le barème. Le fait générateur, précisé au BOFiP, est la cession à titre onéreux (vente, paiement en monnaie ayant cours légal, etc.), les échanges sans soulte entre actifs numériques étant neutres. C’est le régime 150 VH bis du CGI.

2) MiCA, droit français et PSAN/CASP

Depuis le 30 décembre 2024 (et le 30 juin 2024 pour les stablecoins), le règlement européen MiCA s’applique. La France l’a intégré par ordonnance 2024-936 (15 octobre 2024) et décret 2025-169 (21 février 2025), tout en ajustant la doctrine AMF sur les prestataires (ex-PSAN, désormais CASP). En clair : les intermédiaires qui tiennent vos cryptos en France sont licenciés, surveillés et joignables par les autorités.

3) Saisies : quand et comment ?

  • Saisie pénale / confiscation : en matière pénale, les crypto-actifs sont saisissables comme n’importe quel bien. L’AGRASC détient un monopole de gestion des actifs numériques saisis ; le ministère de l’Intérieur indique que 90 M€ de crypto-actifs ont été saisis depuis 2014. Jurisprudence et pratique montrent la montée en puissance de ces saisies via analyse blockchain, ordonnances judiciaires et coopération des plateformes.
  • Recouvrement fiscal (dettes) : la SATD (saisie administrative à tiers détenteur) permet à l’administration de se faire payer auprès d’un tiers qui détient votre argent (banque, employeur… et, par extension, plateforme custodiale si elle détient vos fonds). Si vos cryptos sont chez un intermédiaire régulé, elles peuvent être gelées puis réaffectées dans le cadre légal (impôts impayés, amendes, etc.).

Attention : la SATD ne sert pas à « confisquer » pour boucher un déficit au sens politiqu. C’est un outil de recouvrement quand une dette exigible est due. Rien à voir avec une ponction générale.

« Saisir pour combler le déficit » : est-ce juridiquement possible ?

Non, pas au sens d’une réquisition collective sans cause. En droit français (art. 17 de la DDHC), la propriété est inviolable ; l’expropriation n’est possible que pour nécessité publique, légalement constatée et moyennant juste indemnité. En pratique, l’État dispose surtout de deux leviers constitutionnellement solides :

  1. Taxer (créer/ajuster des impôts) : contribution exceptionnelle, élargissement d’assiette, hausse de taux…
  2. Contrôler et recouvrer mieux l’impôt déjà dû (déclarations, redressements, amendes, SATD).

« Saisir » au sens de confisquer préventivement et sans individualisation n’est pas un outil de comblement budgétaire en France. En revanche, sanctionner la fraude (ou récupérer une dette fiscale) peut viser des crypto-actifs, à condition de les localiser et d’avoir un tiers détenteur… ou un titre exécutoire permettant la saisie chez le débiteur.

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Pourquoi 2025–2026 changent la donne : MiCA + DAC8 + CARF

  • MiCA impose licences et règles communes aux CASP européens : KYC, ségrégation d’actifs, capacité à geler et coopérer sur réquisitions. Les prestataires français sont déjà dans ce cadre.
  • DAC8 (UE) et le CARF (OCDE) organisent le reporting automatique des opérations et positions crypto aux fisc nationaux. La France a finalisé le cadre législatif en 2025 pour une entrée en vigueur pratique à partir de 2026 (déclarations par les CASP). Concrètement, ce que l’administration ignore aujourd’hui (positions, flux) sera remonté demain.

Conséquence : sans « saisir » aveuglément, l’État pourra mieux repérer les détenteurs, croiser les flux, relancer les indélicats et, le cas échéant, recouvrer les montants dus (impôt, pénalités). L’épouvantail d’une « razzia » se heurte au droit ; la traçabilité fiscale devient, elle, très réaliste.

Custody vs self-custody : le vrai verrou (et ses limites)

  • Custody (plateforme/PSAN/CASP) : ici, l’État joue « à domicile ». Un CASP français (ou européen) identifie ses clients, tient les actifs et coopère aux saisies ou SATD. Pour un contribuable défaillant, c’est le maillon faible : argent localisable, saisissable légalement.
  • Self-custody (wallet perso) : tant que les clés privées restent chez vous, il n’y a pas de tiers à qui notifier une SATD. Cela n’empêche pas le recouvrement : l’administration peut viser vos autres biens (comptes, salaire, véhicule), vous sanctionner, voire engager des voies d’exécution sur vos supports (ordinateur, hardware wallet) si un titre l’y autorise. En matière pénale, les autorités peuvent perquisitionner et saisir les supports, avec l’appui d’experts et d’outils de forensic. Les juridictions ont validé la saisissabilité des crypto-actifs, et l’AGRASC sait les gérer. Mais forcer la révélation d’une seed phrase reste une zone grise opérationnelle (procédure, droits, secret, proportionnalité).

Moralité : la self-custody complique l’exécution, elle ne la rend pas illégale. Et plus le reporting DAC8 éclairera vos flux, plus l’administration sachera que ces actifs existent, même sans accès immédiat aux clés.

L’État « peut-il » saisir nos cryptos pour combler le déficit ?

Politiquement : rêver d’un « prélèvement exceptionnel » direct sur les cryptos serait juridiquement fragile (propriété, égalité devant l’impôt, discrimination d’actifs) et techniquement bancal (self-custody, extraterritorialité).
Juridiquement : l’État peut déjà confisquer en pénal (biens d’origine illicite) et saisir en recouvrement ce qui est dû (impôts, amendes), y compris sur les comptes custodiaux. Demain, avec DAC8, il pourra cibler mieux et plus vite.

Le scénario réaliste n’est donc pas la « saisie pour le déficit » ; c’est un mix de :

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  1. plus de déclarations (reporting automatique),
  2. plus de contrôles (croisement de données),
  3. plus d’exécution (SATD chez les CASP),

à la marge, des ajustements fiscaux (clarifications MiCA, traitement des paiements en crypto, etc.).

Et si l’État voulait vraiment lever des milliards « sur la crypto » ?

Trois voies légales et crédibles :

  1. Améliorer la conformité au régime actuel (150 VH bis) grâce au reporting DAC8/CARF. Effet probable : hausse des recettes liées aux plus-values réalisées (pas aux plus-values latentes).
  2. Clarifier et élargir certains faits générateurs (ex. paiements marchands en crypto, arbitrages complexes), déjà pointés par la Cour des comptes comme des angles morts.
  3. Créer une contribution temporaire générale (non ciblée crypto) affectant tous les capitaux mobiliers — politiquement sensible, mais juridiquement plus robuste que de cibler un seul actif.

Une taxe sur la détention de crypto (type « ISF-crypto ») supposerait un changement d’assiette (l’actuel IFI ne vise que l’immobilier). Techniquement faisable, politiquement inflammable, opérationnellement dépendant du reporting.

Que doivent retenir les contribuables français ?

  • Déclarations : si vous cédez des actifs numériques à titre occasionnel, vous êtes dans le PFU 30 % (ou barème sur option) et vous devez déclarer. Les échanges sans soulte restent neutres, mais attention aux cas limites (paiements, cartes adossées, etc.).
  • Plateforme vs self-custody : la détention chez un CASP expose davantage à la SATD et aux saisies. La self-custody protège surtout contre l’exécution immédiate, pas contre la dette ni contre les sanctions.
  • MiCA/DAC8 : à partir de 2026, attendez-vous à une visibilité fiscale beaucoup plus grande de vos flux et positions, via vos plateformes. Fin de l’angle mort administratif.
  • Pénal : en cas d’infraction, la saisie/confiscation de crypto est installée (AGRASC, jurisprudence, outils). Ne confondez pas optimisation et opacité.

Foire aux questions (cash)

L’État peut-il « piquer » mes cryptos demain matin ?

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Pas collectivement ni préventivement. Il peut recouvrer une dette due (impôt, amende) via SATD chez un CASP, et confisquer en pénal. La saisie « pour le déficit » n’a pas de base juridique simple en France.

Et si je garde tout en self-custody ?

Vous réduisez la surface d’exécution immédiate, mais pas le risque fiscal : l’administration peut viser vos autres biens, majorer les pénalités, et demain voir vos positions via DAC8 si vous transitez par des CASP.

MiCA change quoi pour moi ?

Rien sur l’impôt lui-même, mais tout sur la gouvernance : vos prestataires sont agréés, surveillés, susceptibles de geler à la demande judiciaire/administrative, et devront rapporter sous DAC8.

Combien de Français ont des cryptos ?

Entre 1,5 et 5 millions (Cour des comptes 2023), probablement 8–10 % des adultes selon Adan/KPMG et baromètres 2024–2025. Le trou de données est justement ce que DAC8 doit réduire.

Verdict

L’image d’un État saisissant d’un clic les cryptos de tout le monde pour combler un déficit relève du mythe. En revanche, l’horizon réaliste est clair : plus de transparence, plus de conformité, plus d’exécution ciblée. Si vous détenez des cryptos, la bonne réponse n’est pas la paranoïa ; c’est la mise en conformité (déclarations), l’hygiène opérationnelle (traçabilité de vos flux), et, si vous acceptez le compromis, la diversification des lieux de garde — en sachant que la custody régulée facilite aussi votre sécurité juridique.

Bref : l’État peut déjà saisir ce qui est dû (ou illicite) ; il ne peut pas confisquer pour boucher un trou. Mais dès 2026, grâce à DAC8/CARF et à MiCA, il saura mieux où regarder. Le vrai tournant n’est pas la saisie, c’est la fin de l’invisibilité.

La morale de l’histoire: On n’est jamais trop prudent, je range mes Bitcoin sous mon matelas.

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