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Maitre Arnaud Touati : L’avocat “Web Droit” ?

8 mins
Mis à jour par Célia Simon
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Rencontre avec Arnaud Touati, avocat au barreau de Paris et cofondateur du cabinet Hashtags Avocats, spécialisé dans l’accompagnement juridique des startups et des projets Web3. Visionnaire passionné, celui qui fait un pont entre le Droit et le Web3, nous livre son point de vue sur l’avenir de la crypto, les défis réglementaires et les opportunités qu’offre cet écosystème en pleine mutation.

1. Avec la mise en œuvre de MiCA, certains observateurs estiment que l’UE pourrait prendre la tête de la régulation crypto au niveau mondial. Mais,concrètement, quels éléments de MiCA sont les plus ambitieux selon vous, et pourquoi ?

Le règlement MiCA (Markets in Crypto-Assets) introduit une régulation commune au marché des crypto-actifs dans l’ensemble de l’Union européenne, visant à mettre fin aux disparités réglementaires entre pays. Le règlement a pour objectif d’imposer des règles communes aux entreprises opérant dans l’UE, dans une logique de protection des consommateurs et de transparence du marché. C’est l’ambition première de tout règlement européen de parvenir à une harmonisation des règles entre les différents Etats membres de l’UE. Cette règlementation, commune à plusieurs Etats est sans précédent au niveau mondial.

Tout d’abord, MiCA impose aux entreprises souhaitant proposer des services sur crypto-actifs (PSCA) d’obtenir un agrément strict avant de fournir ces services dans l’UE.

MiCA encadre, non seulement, les prestations de services sur crypto-actifs mais également l’émission de ces crypto-actifs. Parmi ces actifs, le règlement vise un type particulier, les stablecoins (e-money tokens (EMT) et asset-referenced tokens (ART)). Ces crypto-actifs ayant pour objectif de conserver une valeur stable en s’adossant à une devise ou à des paniers d’actifs.

MiCA exige des émetteurs de stablecoins des niveaux de transparence rigoureux. Les émetteurs d’EMT et d’ART doivent garantir une réserve adéquate pour chaque unité émise, assurant ainsi que la valeur des stablecoins soit bien couverte par des actifs tangibles. Cela vise à éviter les situations où la dévaluation d’un stablecoin pourrait entraîner une instabilité financière.

MiCA cible également les plateformes d’échange de crypto-actifs en leur imposant des obligations strictes en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et de protection des investisseurs. Par exemple, les plateformes doivent séparer les fonds des utilisateurs de ceux de la plateforme elle-même, empêchant ainsi les utilisations abusives des actifs des clients, comme ce fut le cas dans des affaires récentes. MiCA pose aussi des bases solides pour la gouvernance des entreprises du secteur, incluant des mesures de contrôle des risques, de transparence et d’audit, destinées
à limiter les pratiques risquées.

Enfin, le règlement confère à l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) et aux régulateurs nationaux un rôle clé dans la surveillance du marché des crypto-actifs.

Pour aller plus loin : Qu’est-ce que la loi MiCa ?

2. MiCA est perçu comme un cadre réglementaire dense, mais peut-il, selon vous, réellement éviter des scénarios comme ceux de FTX ou Terra, ou risque-t-on de voir des failles apparaître ?

En soi, des failles peuvent toujours apparaitre, les évènements intervenus dans le secteur bancaire en sont la preuve.
Evidemment, MiCA a pour objectif de structurer le marché, mais il n’est pas une garantie contre toutes les formes de défaillances.

Les effondrements de FTX et Terra sont des cas emblématiques où des pratiques opaques et des montages financiers risqués ont entraîné des pertes massives. En raison de sa densité et de sa rigueur, particulièrement avec l’imposition de règles de transparence, MiCA va considérablement compliquer la réalisation de ces événements. Le règlement constitue un véritable obstacle pour de nombreux acteurs souhaitant entrer sur le marché.

Cependant, MiCA ne peut pas éliminer totalement les risques liés à la fraude interne ou à des abus de gouvernance. Si le règlement oblige les entreprises à se conformer à des standards de gouvernance et de gestion des risques, il n’a pas vocation à contrôler chaque aspect des pratiques de gestion.

De plus, MiCA ne couvre pas la finance décentralisée (DeFi) de manière explicite. La DeFi opère sans intermédiaire centralisé, ce qui la rend difficile à encadrer avec des règles conçues pour des entités centralisées. En l’absence de structure de gouvernance identifiable, les projets DeFi restent en grande partie hors du périmètre de MiCA, ce qui laisse la porte ouverte à des risques liés à des contrats intelligents défaillants ou à des attaques de type rug pull.

Toutefois, MiCA introduit des mesures importantes pour limiter les risques de pertes pour les utilisateurs, en encadrant plus strictement les pratiques de réserve des stablecoins et en obligeant les plateformes à protéger les actifs des clients. Bien que des failles puissent encore exister, MiCA offre des garde-fous qui augmentent le niveau de sécurité pour les utilisateurs et réduisent les risques de crises.

Pour aller plus loin : Qu’est-ce qu’un rug pull crypto ?

3. Certains pensent que MiCA pourrait freiner les petites startups en imposant des règles coûteuses. En tant qu’avocat dans ce secteur, comment conseillez-vous les jeunes entreprises pour naviguer dans ce contexte ?

Pour les startups, se conformer à MiCA peut en effet représenter un défi, car les coûts liés à la conformité peuvent être importants, surtout pour les entreprises en phase de démarrage. Cependant, il est possible d’aborder cette situation de manière proactive.

La première étape pour les jeunes entreprises est d’intégrer la conformité aux exigences de MiCA dès le début du développement de leurs produits et services. Cette approche de compliance by design permet de réduire les coûts d’adaptation une fois le produit en place. En planifiant une structure qui répond aux exigences de MiCA dès le départ, les startups limitent les besoins de corrections post-lancement. Ensuite, il pourrait être judicieux de rechercher des collaborations ou des partenariats (en marque blanche ou marque grise) avec des entreprises régulées.

Par exemple, une startup pourrait choisir d’opérer via une société déjà conforme à MiCA, ce qui lui permettrait de proposer ses services sans devoir s’acquitter elle-même de toutes les charges réglementaires. Ce type de partenariat permet de bénéficier de l’expertise et des infrastructures de partenaires expérimentés, tout en réduisant les coûts de conformité. Cependant, ce modèle nécessite une validation des régulateurs.

4. Il est souvent question de la DeFi et des NFT dans le cadre du projet de règlement MiCA2. Selon vous, comment les législateurs pourraient-ils aborder ces technologies sans étouffer l’innovation ?

Les régulateurs européens feront face à des défis particuliers pour encadrer les innovations issues de la DeFi et des NFT, qui fonctionnent souvent en dehors des cadres traditionnels. La DeFi, ou finance décentralisée, repose sur des protocoles autonomes gérés par des smart contracts, ce qui rend difficile l’application de règles rigides et centralisées. Pour que la régulation soit efficace sans entraver la décentralisation, il serait pertinent d’introduire des normes de transparence et d’audit minimum.

Par exemple, les projets DeFi pourraient être obligés de publier des informations précises sur les risques associés et de réaliser des audits de code indépendants, sans que cela ne compromette leur nature décentralisée. Pour les NFT, l’enjeu est de taille car ils couvrent un spectre d’applications très large.

Un NFT peut représenter une œuvre d’art, un certificat de propriété, ou même un produit financier. Il est donc essentiel de différencier les NFT selon leur usage pour éviter des régulations qui ne seraient adaptées qu’à certains types de NFT. Une œuvre d’art numérique ne doit pas être soumise aux mêmes règles qu’un produit financier. La classification des NFT selon leur finalité permettrait une régulation plus ciblée, et donc plus respectueuse des spécificités de chaque usage.

Une approche trop stricte sur les technologies de la DeFi ou des NFT risquerait de décourager l’innovation, en particulier pour les petites entreprises qui dépendent de ces nouveaux outils pour se différencier. C’est pourquoi les législateurs devront s’entourer d’experts du secteur pour bien comprendre les particularités techniques et sociales de ces produits et trouver un équilibre entre sécurité et innovation.

5. Pensez-vous que MiCA1/MiCA 2 devrait viser une harmonisation avec les régulations d’autres juridictions, comme les États-Unis ou l’Asie, ou l’Europe peut-elle rester compétitive avec sa propre approche ?

Oui, en soi une harmonisation avec des régulations d’autres juridictions apporte des avantages certains. L’absence d’une telle harmonisation peut entraîner des obstacles commerciaux pour les entreprises, qui doivent alors se conformer à plusieurs cadres réglementaires. Toutefois, une telle harmonisation semble difficilement envisageable en raison des approches totalement divergentes entre les différents continents.

Une coordination entre les différents régulateurs internationaux – par exemple, en tenant des réunions multilatérales entre les autorités européennes, américaines et asiatiques – permettrait de réduire ces barrières.

6. Comment imaginez-vous le paysage Web3 européen d’ici cinq ans, et quel rôle jouera la réglementation dans cette transformation ?

Dans cinq ans, le paysage européen du Web3 pourrait être marqué par une coexistence entre innovation et réglementation, modelée en grande partie par le règlement MiCA. Ce cadre, bien qu’encourageant une innovation responsable, impose des obligations de conformité rigoureuses qui pourraient dissuader ou freiner les petites startups. Seules les grandes institutions financières, avec des ressources importantes, auront réellement les moyens de satisfaire ces exigences de conformité strictes. Ce contexte pose une question de fond : le Web3, qui promettait un écosystème décentralisé et accessible, risque-t-il de se transformer en une version de la finance traditionnelle, où seuls les grands acteurs peuvent prospérer ?

Alors que MiCA apporte des bases solides pour la protection des utilisateurs et des investisseurs en limitant les risques de fraude, il crée aussi une barrière à l’entrée élevée pour les nouvelles entreprises et les acteurs indépendants, potentiellement au détriment des valeurs fondamentales du Web3. L’espace européen pourrait ainsi voir une concentration accrue autour des grandes banques et institutions financières, reproduisant une structure de marché qui ressemble davantage à celle de la finance classique, loin de la vision d’un Web3 ouvert et décentralisé.

Cependant, cette réglementation renforcée pourrait attirer davantage de capitaux internationaux, rassurés par la clarté juridique et la sécurité accrue de l’écosystème européen. Ce cadre pourrait ainsi paradoxalement consolider une finance décentralisée… centralisée autour de grands acteurs, laissant les petites entreprises et startups face à des défis croissants pour innover dans un secteur censé libérer l’innovation et la décentralisation.

7. Vous travaillez au cœur des nouvelles technologies et des startups Web3. Y a-t-il une évolution dans la réglementation ou un aspect de MiCA que vous aimeriez voir dans MiCA 2 en tant qu’avocat, mais aussi en tant qu’utilisateur ?

Un point qui pourrait évoluer est la manière dont MiCA encadre les crypto-actifs non adossés, ou les actifs reposant sur des structures décentralisées. Si MiCA aborde en détail les stablecoins et les plateformes centralisées, il reste des zones grises pour les projets reposant entièrement sur des technologies décentralisées. La finance décentralisée (DeFi) et les protocoles de gouvernance autonomes constituent des modèles très différents de ceux des crypto-actifs centralisés et, pour le moment, ils échappent en grande partie aux obligations de MiCA.

À l’avenir, il pourrait être intéressant d’étendre le cadre pour inclure une régulation spécifique des projets de DeFi. Cela pourrait se traduire par des normes minimales en matière de transparence des protocoles et de sécurité des smart contracts. Un encadrement plus détaillé dans ce domaine pourrait limiter les risques de fraudes ou de failles de sécurité tout en préservant la flexibilité nécessaire à l’innovation.

8. Pour finir, quel message aimeriez-vous adresser aux entrepreneurs Web3 qui pourraient être découragés par la complexité réglementaire européenne ?

Aux entrepreneurs crypto qui se sentent intimidés par MiCA, je dirais qu’ils doivent voir cette régulation comme une opportunité. La mise en conformité est un investissement qui peut rapporter sur le long terme en augmentant la crédibilité de l’entreprise et en inspirant confiance aux utilisateurs. Un cadre réglementaire structuré permet aussi de rassurer les investisseurs et les partenaires potentiels, qui voient la conformité comme un gage de sérieux et de stabilité.

De plus, il est important de noter que des modèles d’affaires innovants sont en cours de validation, comme le PSAN as a Service, qui propose une approche plus souple pour faciliter l’accès à la régulation sans alourdir la charge sur les petites structures. Des modèles en marque grise pourraient donc émerger, permettant aux acteurs de se conformer progressivement et d’explorer des alternatives.

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Victor Tamer
Après des études de droit, puis de commerce en France, aux Etats-Unis et en Italie ainsi qu’un début de carrière américain et français, Victor s’intéresse rapidement au Web3 et devient d’abord traducteur dans le domaine puis rédacteur. Aujourd’hui il est responsable des partenariats et ambassadeur sur le terrain pour BeinCrypto. Victor est également photographe de mode.
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