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“FTX nous rappelle que le futur de la crypto sera majoritairement décentralisé” : Interview exclusive avec Pierre Person

8 mins
Mis à jour par Célia Simon
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EN BREF

  • Pierre Person est notamment connu pour son travail à l’Assemblée Nationale sur les monnaies numériques.
  • L'ex-député, qui a choisi de revenir au secteur privé, nous a accordé une interview exclusive.
  • Au programme ! législation, les leçons à apprendre de FTX, et les valeurs fondamentales de la crypto.
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Député de Paris de juin 2017 à juin 2022, Pierre Person est connu notamment pour son travail à l’Assemblée Nationale sur les monnaies numériques. Souvent considéré comme référence en la matière dans le monde de la crypto, il s’agit de l’une des rares personnalités politiques françaises à être très au fait de la technologie blockchain, des cryptomonnaies, de la DeFi et de leurs enjeux. BeinCrypto a souhaité en savoir plus sur ce qu’il pensait de l’état de la législation. L’ex-député, ayant choisi de revenir au secteur privé, nous a répondu dans cette interview exclusive.

Suite à votre départ de l’Assemblée Nationale, pensez-vous que vos anciens collègues sont toujours aussi bien renseignés sur la technologie blockchain, est-ce que leur intérêt pour le sujet est toujours présent ?

Le sujet crypto est un sujet complexe. Il est à la bordure à la fois de la Tech, qui est en tant que tel déjà un peu compliquée, et de la question financière et monétaire qui est un autre sujet qui a sa complexité. Le problème de la crypto en tant que matière est donc que : pour être un spécialiste il faut énormément bosser les sujets.

C’est un environnement qui est très exigeant et qui bouge très vite. Être un spécialiste de ces sujets, c’est donc délicat, je ne suis même pas sûr que je peux moi-même me présenter comme tel. J’ai une certaine expertise dans le sens où j’ai beaucoup creusé, beaucoup auditionné, beaucoup travaillé, j’apprécie lire régulièrement des informations sur le sujet et rencontrer les acteurs du secteur mais on peut toujours être encore plus expert en la matière. Ce que j’ai essayé de faire en tout cas, c’est de dresser un constat et une vision pour l’écosystème ; fort de ce constat, on ne peut pas dire qu’il y ait beaucoup d’experts du sujet à l’Assemblée Nationale. Quelques députés dans la précédente législature s’intéressaient au sujet, avec moins de temps consacré. Pour l’instant, dans la nouvelle législature, personne n’a repris le flambeau. Je n’ai pas vu dans les porteurs des amendements, notamment sur les questions budgétaires, de nouveau députés se révéler portant le sujet. Je ne doute pas que ça arrivera car de toute façon ces sujets deviendront de plus en plus prédominants dans le quotidien et donc la loi.

Après, on peut dire deux choses, on a un secrétaire d’état, Jean-Noël Barrot, au Numérique, qui comprend les choses. Il était présent lors des différentes auditions que j’ai pu mener et qui a compris que la technologie blockchain n’était pas une technologie subalterne pour le futur de l’innovation. Deuxièmement, il a aussi compris que de toute façon, on était dans un momentum où l’Union Européenne prenait la main sur ces questions et qu’on a donc maintenant Bruxelles qui va légiférer sur ces questions.

Les enjeux législatifs sont donc plutôt au niveau européen que national, comme ils l’ont été en 2018 et 2019 en France.

Quel est votre avis sur la loi MiCA ? Est-elle trop dure ? Ou insuffisante ?

Le règlement MiCA est une bonne chose dans l’idée qu’il faille une réglementation homogène et uniforme à l’échelle de l’Union Européenne, parce que ça va permettre à des acteurs régulés en France d’être compétitifs sur l’intégralité du périmètre européen. Ainsi, on peut éviter à la fois du dumping concurrentiel entre les différents états-membres mais aussi permettre d’harmoniser pour que ce soit plus simple et plus compréhensible en ayant la même réglementation dans chacun des pays. Donc, est ce que le périmètre est le bon ? Oui.

La deuxième chose, c’est de savoir s’ il y a un besoin de régulation en général. Après, il y a régulation et régulation ; ça dépend de ce que l’on met dedans. La régulation en tant que telle n’est pas nocive pour l’écosystème. Bien au contraire, c’est lorsqu’il n’y a pas de régulation qu’on va parfois dans certains paradis fiscaux, parce qu’on a besoin de la sécurité juridique, d’un cadre plus souple de juridictions exotiques. Et ça, les acteurs ne le veulent pas tous ; les acteurs français veulent un cadre très clair en France.

L’autre question est de savoir où l’on met le curseur ? C’est-à-dire comment vous inventez la régulation ? En certains sens, MiCA est un mauvais texte, dans la mesure où par endroits il transpose une réglementation qui est aujourd’hui applicable à des acteurs centralisés, à une technologie qui bouleverse et rabat les cartes de l’intermédiation, en proposant un mécanisme où il y a une prépondérance d’acteurs décentralisés. On voit donc bien que la seule transposition des règles applicables aux acteurs financiers et bancaires ne peut pas toujours correspondre à la façon dont on devrait réglementer les acteurs qui sont plus décentralisés.

En ce sens, MiCA pose quelques problèmes. D’une part il n’est pas totalement exhaustif, et c’est ce qui vaut à la présidence de la BCE qu’il y aurait une deuxième MiCA. D’autre part, c’est que parfois, les moyens mis en œuvre pour garantir la sécurité des investisseurs sont clairement contre intuitifs par rapport à la technologie en tant que tel, et donc créent plus de frictions que la technologie elle-même qui est censée en enlever.

Cela part donc d’un bon sentiment, mais on va dire, si je devais noter, ça serait : peut mieux faire.

La chute de FTX vous fait-elle pencher vers la solution d’une plus forte réglementation ?

Il faut rappeler à toutes les Cassandres qui disent que c’est la fin de la crypto, que c’est bien là la démonstration que la crypto est viciée, qu’elle ne sert à rien et qu’elle cause plus de dégâts qu’autre chose ; FTX est en fait la problématique d’un acteur centralisé.

En fait, c’est la même problématique que les banques. C’est-à-dire des acteurs qui, avant n’étaient pas régulés ou très peu régulés et qui, parce qu’ils n’étaient pas régulés, ont pu faire n’importe quoi avec l’argent d’autrui. C’est le cas de FTX, ce n’est ni une pyramide de Ponzi ou autre montage du genre, c’est une entreprise qui était mal gérée. On verra s’ il y a une qualification délictuelle. C’est un acteur décentralisé, qui a failli à toutes les obligations prudentielles que normalement tout acteur qui détient des actifs de clients doit se soumettre. Le fait de devoir séparer les actifs de ses investissements etc…

Aujourd’hui, et depuis 2007, les banques et tous les acteurs centralisés ont des garde-fous qui sont plus importants. Il faut ces même garde-fous pour les acteurs crypto, ça tombe bien, c’est ce qui est prévu dans MiCA ; la nécessité d’avoir des fonds propres, des systèmes résilients, des comptabilités et des audits qui soient beaucoup plus poussés. On peut donc se satisfaire que sur ce point là : MiCA permettra d’avoir une sécurité plus importante pour les acteurs centralisés.

Le reste, c’est aussi de dire que la crypto est aussi la détention en fonds propres, c’est aussi la possibilité de ne dépendre d’aucun tiers. Et je ne dis pas, malheureusement, mais un peu, que c’est venu nous rappeler que le futur de la crypto sera majoritairement décentralisé. C’est une bonne chose. Si on a envie de confier ses actifs à un tiers, on le pourra. Cela dit, rajouter de la centralisation dans une technologie qui permet de décentraliser, peut être certes utile à certains – car pas tout le monde a envie de conserver ses actifs, ça impose une vraie responsabilité sur la gestion de son patrimoine – mais de l’autre côté, il y a des risques inhérents à confier son patrimoine à un tiers. 

Dans quel sens devrait selon-vous aller cette régulation ? Quelle loi serait à vos yeux une bonne législation ?

Une bonne législation est une législation intelligente, dans le sens où elle met tout le monde autour de la table. Acteurs présents sur le marché, acteurs souhaitant rentrés sur le marché, donc les insiders et les outsiders. Les insiders, pour moi, ce seraient les banques, les acteurs financiers de la finance traditionnelle, et les acteurs aussi de ce nouveau marché, qui sont les outsiders mais qui souhaitent y rentrer parce qu’il y a des places à prendre, des choses à innover…etc.

Déjà, s’il y avait plus de dialogue entre ces deux acteurs, on arriverait à avoir une meilleure compréhension. Ensuite,une bonne réglementation, c’est quand le législateur ou le pouvoir public tranche dans une forme d’équilibre et se pose la question de l’avenir de la technologie. En ce sens, je pense que MiCA a trop été un texte qui s’est inspiré des réglementations précédentes, un texte qui a été ardemment défendu par les secteurs notamment bancaires et que, en ce sens, il ne permet pas par d’être compétitif sur le long terme. Il permet de résoudre certaines problématiques, de protéger certains investisseurs mais il crée de la rigidité, des problèmes de concurrence avec d’autres zones économiques, notamment avec les Etats-Unis.

Une bonne réglementation est donc une réglementation qui admet qu’on est dans un monde extrêmement compétitif et que la compétitivité ne peut pas se faire en étant moins distant, mais plutôt en étant plus pragmatique et connaissant bien les rouages et le quotidien des acteurs autour de ces technologies,et pas seulement en transposant des mécanismes qui sont aujourd’hui utilisé pour des acteurs centralisés à des acteurs qui sont clairement hybrides.  

Vous avez choisi de consacrer votre carrière au secteur privé. Pourquoi ?

Je m’y étais engagé personnellement, et je le fais parce que j’ai pris cet engagement auprès de moi, pas forcément auprès de mes concitoyens quand j’ai été élu. La vie politique est un moment dans la vie. On a vite fait de devenir un professionnel de la politique, d’être engoncé dans son titre, dans son statut etc… Moi, j’aime toujours me remettre un peu en question.

Je pense que c’est important pour l’être humain de changer pour apprendre de nouvelles choses, voir de nouvelles choses et finalement peut-être revenir et servir autrement la collectivité. Je ne voulais pas en faire un métier pendant 15 ans ou plus. Je suis passionné de politique et je pense qu’à travers la crypto, j’ai toujours un vrai engagement politique. Je crois en la crypto aussi pour les principes politiques qu’elle permet de mettre en œuvre. Donc je n’ai pas le sentiment d’avoir quitté la politique, j’ai l’impression de faire de la politique tous les jours lorsque je parle de la crypto. Mais je pense que c’est sain de faire autre chose dans une vie que de partir de 15 ou 20 ans de mandat jusqu’au jour où on est battu.

Je pense qu’il faut pouvoir, surtout lorsqu’on est jeune, pouvoir avoir plusieurs vies et peut-être revenir plus tard avec une autre expérience pour servir d’une autre façon, dans un autre mandat peut-être. J’ai don souhaité repartir vers le privé, parce que je voulais être dans une autre forme d’action. Je crois que la crypto me permet de garder un lien avec une forme d’engagement politique, reste à voir si je referai de la politique.

Quelque chose à rajouter ?

Une forme d’appel. À tous ceux qui créent dans la crypto, chaque jour, notamment en bear market, de se dire qu’il y a des sous-jacentes qui sont des sous-jacentes fortes dans la crypto.

Après bien sûr,on peut tout faire avec la crypto, on peut être souverainiste ou libertarien. Ce que je veux dire par là, c’est que la notion de décentralisation est quelque chose de partagé par tout le monde dans la crypto. Derrière cette idée de décentralisation, il y a l’idée de justice d’équité, de pouvoir de l’individu sur son destin, sur son argent, sur ses données, sur ses actifs. Ce que je souhaite donc, c’est que le secteur de la crypto ne se perde pas.

Lorsqu’on voit des évènements comme Celsius, comme FTX ou d’autres – je ne mets pas Terra Luna dans le même panier car ce ne sont pas les mêmes ressorts, mais en tout cas les acteurs centralisés qui jouent avec les compagnons d’autrui – on est aux antipodes de ce qui est la crypto et l’engagement qui devrait conduire n’importe quelle entreprise ou entrepreneur à entreprendre dans la crypto.

Le but de la crypto n’est pas de dumper sur l’autre, de voler l’autre, c’est pas de prendre des risques avec l’argent des autres. Le but de la crypto, c’est d’innover sur des solutions qui permettent de profondément changer le système financier et le Web 2. Et ça, chacun des entrepreneurs qui se lèvent le matin pour créer, devrait le garder en tête et se dire qu’en effet, il peut y avoir du profit et une forte croissance, mais il y a quand même des idéaux qui normalement doivent pas conduire le parcours de l’entrepreneur Web 3 car nous ne sommes pas seulement là pour le profit. On croit aussi profondément dans un changement de modèle. 

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Victor Tamer
Après des études de droit, puis de commerce en France, aux Etats-Unis et en Italie ainsi qu’un début de carrière américain et français, Victor s’intéresse rapidement au Web3 et devient d’abord traducteur dans le domaine puis rédacteur. Aujourd’hui il est responsable des partenariats et ambassadeur sur le terrain pour BeinCrypto. Victor est également photographe de mode.
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