L’avocat Jean-Marc Goossens se penche sur une question clé de la crypto : Bitcoin a-t-il une valeur intrinsèque ?

En 2014, mon activité d’avocat m’a amené à croiser la route du Bitcoin dans des circonstances pour le moins inattendues et singulières.

Un informaticien m’avait sollicité pour différents services juridiques et fiscaux. Lorsqu’il fut temps de régler mes honoraires, il m’informa qu’il avait des problèmes de liquidités (il était visiblement plus à l’aise avec les algorithmes qu’avec ses finances) et il me remit une espèce de robuste clé USB dénommée “Trezor” contenant, selon lui, une monnaie numérique appelée Bitcoin. Bien que mécontent, je décidai d’accepter cette forme de paiement, me rappelant les conseils de mon professeur de pratique des honoraires du barreau de Bruxelles : Ne jamais remettre à plus tard un paiement sous peine de ne jamais être payé.

J’acceptai donc ce “Trezor” et, dès ce soir-là, je commençai à me renseigner sur la valeur de son contenu avec une curiosité mêlée d’incrédulité.

Depuis une décennie que je m’intéresse donc au Bitcoin et aux cryptomonnaies, je vois d’une façon récurrente la même question fondamentale : le Bitcoin possède-t-il une valeur intrinsèque ? Cette interrogation est d’autant plus importante que la quasi-totalité des détracteurs du Bitcoin invoquent une absence de valeur intrinsèque pour le critiquer et en déconseiller l’usage. C’est un peu le mantra des anti-crypto, Warren Buffett en tête. Notons tout de même qu’il détiendrait toujours un Bitcoin qui lui a été offert en 2020 par Justin Sun, le fondateur de Tron, lors d’un dîner de charité. 

Commençons par rappeler la différence entre valeur intrinsèque et extrinsèque. Tandis que “intrinsèque” désigne ce qui est inhérent à la nature même d’une chose, “extrinsèque” se réfère à ce qui provient de l’extérieur ou dépend de facteurs externes. 

Cette question est donc indissociable de la question de l’objectivité et de la subjectivité des valeurs : Tout n’est-il pas subjectif ? 

La notion de valeur est un sujet complexe qui a été débattu par les philosophes et les économistes pendant des siècles. Il n’y a pas de réponse simple et définitive à cette question mais la subjectivité des valeurs l’emporte largement :

  • Relativisme culturel: Les valeurs varient considérablement d’une culture à l’autre, ce qui suggère qu’elles sont construites socialement et ne sont pas universelles.
  • Expériences personnelles: Les valeurs sont souvent façonnées par nos expériences de vie individuelles, ce qui les rend uniques et spécifiques à chacun.
  • Évolution des valeurs: Les valeurs changent au fil du temps, ce qui indique qu’elles ne sont pas fixes ou absolues.

Ces principes essentiels sont depuis toujours applicables aux monnaies, quelles qu’elles soient. La valeur d’une monnaie n’a pas de mesure absolue, c’est un concept relatif influencé par de nombreux facteurs :

  • Facteurs économiques: Taux d’inflation, taux d’intérêt, croissance économique, balance des paiements, etc.
  • Facteurs politiques: Stabilité politique, décisions gouvernementales, conflits, etc.
  • Facteurs psychologiques: Confiance des investisseurs, sentiment du marché, etc.
  • Évolution constante: Les facteurs influençant la valeur d’une monnaie sont en perpétuel mouvement, ce qui rend impossible de fixer une valeur absolue et immuable.

L’existence d’une valeur absolue d’une monnaie est donc impossible. C’est pour cette raison qu’elles sont évaluées par leur taux de change par rapport aux autres monnaies. Il n’y a pas de référence absolue pour évaluer la valeur intrinsèque d’une monnaie. 

Appliquons dès lors ces principes aux monnaies fiat (1) à l’or (2) et enfin au Bitcoin (3). 

1. Le terme “monnaie fiat” provient du mot latin “fiat,” qui signifie “qu’il soit fait” ou “qu’il en soit ainsi.” Une monnaie fiat est une monnaie émise par un gouvernement et dont la valeur n’est pas basée sur une marchandise physique comme l’or, mais sur la confiance et la stabilité du gouvernement émetteur. La plupart des monnaies modernes, comme le dollar américain et l’euro, sont des monnaies fiat. 

En voici les principales caractéristiques :

  • Émission par le gouvernement : La monnaie fiat est créée et régulée par les gouvernements à travers leurs banques centrales.
  • Contrôle de l’économie : Les banques centrales peuvent ajuster la quantité de monnaie en circulation pour influencer l’économie, ce qui n’est pas possible avec des monnaies basées sur des marchandises. 
  • Risque d’inflation : Un des risques de la monnaie fiat est l’inflation, voire l’hyperinflation, si trop de monnaie est imprimée.
  • Absence de valeur intrinsèque : Contrairement aux monnaies de commodité, la monnaie fiat n’a aucune valeur intrinsèque. Sa valeur repose sur la confiance des utilisateurs dans le gouvernement et l’économie. La monnaie de commodité par contre tire sa valeur de la matière dont elle est faite. Par exemple, des objets comme l’or, l’argent, les coquillages, ou même des produits agricoles comme le sel ou le bétail ont été utilisés comme monnaies de commodité

Pourquoi les monnaies fiat n’ont-elles pas de valeur intrinsèque ?

La monnaie fiat n’a pas de valeur intrinsèque au sens traditionnel. Contrairement à l’or ou à l’argent, la monnaie fiduciaire n’est pas adossée à une marchandise physique. Sa valeur découle de facteurs tels que la loi, la confiance et sa capacité à servir d’instrument d’échange. 

  • Pas de support tangible: La monnaie fiduciaire n’est pas échangeable contre de l’or, de l’argent ou tout autre actif physique. Le système de l’« étalon-or » a été abandonné par la plupart des pays il y a des décennies.
  • Valeur basée sur la confiance: La valeur de la monnaie fiduciaire dépend de la confiance des gens dans la capacité du gouvernement à gérer l’économie et à honorer ses dettes.
  • Offre illimitée: Les gouvernements et les banques centrales peuvent imprimer de la monnaie fiduciaire à volonté, ce qui signifie que son offre n’est pas fixe. Cela rend la monnaie fiduciaire vulnérable à l’inflation, qui érode son pouvoir d’achat au fil du temps.

2. L’or est considéré comme ayant de la valeur en raison de plusieurs facteurs :

  • Rareté : L’or est un métal rare, ce qui contribue à sa valeur. La quantité totale d’or extrait dans l’histoire de l’humanité pourrait tenir dans environ un cube de 22 mètres de côté. 
  • Propriétés physiques : L’or est résistant à la corrosion et au ternissement, ce qui le rend durable et idéal pour la conservation de la valeur. Il est également malléable et ductile, permettant de le façonner en divers objets et bijoux.
  • Valeur historique et culturelle : Depuis des millénaires, l’or a été utilisé comme symbole de richesse et de pouvoir. Il a joué un rôle crucial dans les économies anciennes et modernes, servant de monnaie et de réserve de valeur. 
  • Rôle économique : L’or est souvent utilisé comme valeur refuge en période d’incertitude économique. Les banques centrales et les investisseurs détiennent de l’or pour se protéger contre l’inflation et les fluctuations des devises. 

En conclusion, bien que l’or ait des qualités qui pourraient justifier une certaine valeur “intrinsèque”, sa valeur réelle sur le marché se trouve principalement déterminée par la demande et les perceptions des investisseurs. C’est pourquoi son prix peut fluctuer considérablement au fil du temps.

3. La valeur intrinsèque des cryptomonnaies est dérivée de facteurs tels que :

L’utilité : Quels problèmes la cryptomonnaie résout-elle ?

La rareté : L’offre est-elle limitée ou inflationniste ?

La valeur du réseau : Quelle est la taille et l’activité de l’écosystème ?

– La sécurité : Quelle est la résilience de la blockchain face aux attaques ?

Analysons maintenant le Bitcoin à la lumière de ces différents points :

Bitcoin :

La valeur du Bitcoin réside dans son offre fixe, dans son réseau décentralisé, dans sa sécurité, dans sa transparence et dans sa résistance à la censure.

1. La valeur du Bitcoin réside dans son offre fixe (21 millions d’unités) :

 Le Bitcoin a une offre maximale de 21 millions d’unités. Cette rareté programmée crée une valeur intrinsèque, similaire à l’or, car l’offre limitée peut faire augmenter la demande et donc la valeur. Il est intéressant de souligner que la rareté du Bitcoin est absolue, parfaite : Il ne peut y avoir plus de 21 millions de bitcoins en circulation. La rareté de l’or par contre n’est que relative, imparfaite. On peut toujours en trouver plus. 

2. Dans son réseau décentralisé :

Le réseau Bitcoin est décentralisé, ce qui signifie qu’il n’est contrôlé par aucune autorité centrale, comme une banque ou un gouvernement. Il n’y a pas de société Bitcoin, pas de CEO Bitcoin. Les transactions sont validées par un réseau mondial de nœuds (ordinateurs) qui travaillent ensemble pour maintenir la sécurité et l’intégrité du réseau.

3. Dans sa sécurité assurée par le minage “preuve de travail” :

La sécurité du Bitcoin repose sur un mécanisme appelé “preuve de travail” (Proof of Work, PoW). Les mineurs utilisent une puissance de calcul considérable pour résoudre des problèmes mathématiques très complexes, ce qui sécurise le réseau en rendant les attaques extrêmement coûteuses en énergie et ressources et de ce fait impossible à réussir en pratique.

4. Dans la transparence de sa blockchain :

 La blockchain du Bitcoin est un registre public où toutes les transactions sont enregistrées de manière transparente et immuable. C’est comme un grand livre dans lequel tout le monde peut écrire et que tout le monde peut consulter mais que personne ne peut effacer. Cela signifie que n’importe qui peut vérifier les transactions passées, ce qui renforce la confiance et la transparence du système.

5. Dans sa résistance à la censure :

 Grâce à sa nature décentralisée et à l’absence d’une autorité centrale, le Bitcoin est résistant à la censure. Cela signifie que personne ne peut bloquer ou annuler des transactions, offrant ainsi une liberté financière et une protection contre les ingérences extérieures.

Conclusion :

Une analyse objective et rigoureuse démontre que l’argument affirmant que le Bitcoin manque de valeur intrinsèque comparé aux monnaies fiat est fallacieux.

Force est de constater que les critiques émises par la finance traditionnelle à l’encontre du Bitcoin sont souvent teintées de subjectivité et motivées par des intérêts particuliers. Cette méfiance s’explique en partie par la menace que représente cette nouvelle technologie pour les modèles économiques établis. De plus, la complexité inhérente aux cryptomonnaies et le manque de régulation claire créent un terrain fertile pour la désinformation. Il est donc crucial d’adopter une posture critique face à ces critiques et de se fonder sur des analyses objectives pour évaluer les véritables enjeux liés aux cryptomonnaies.

On ne peut s’opposer au progrès, surtout lorsqu’il répond à une demande réelle. Rappelons qu’environ 1,7 milliard d’adultes dans le monde n’ont pas accès aux services financiers de base. Cela représente une proportion très importante de la population mondiale qui est exclue des systèmes bancaires traditionnels.

Le Bitcoin rend possible une inclusion financière qui est essentielle pour réduire la pauvreté, favoriser le développement économique et améliorer la qualité de vie. L’histoire démontre que ceux qui tentent de freiner l’innovation ne font que retarder l’inévitable. Le Bitcoin et certaines autres cryptomonnaies sont des exemples parfaits de cette dynamique. Résister à leur adoption, c’est ignorer les besoins et les désirs d’une société en quête de solutions financières modernes, efficaces et accessibles au plus grand nombre. Si vous tournez le dos au progrès, attendez-vous à ce qu’il vous dépasse en un éclair.

A propos de Jean-Marc Goossens

Jean-Marc Goossens a commencé sa carrière en tant qu’avocat de sportifs, et est notamment connu pour avoir rédigé le premier contrat de Michael Schumacher en Formule 1. Après cette période, il a œuvré pour des ONG en Papouasie-Nouvelle-Guinée, où un séjour de plusieurs mois dans une tribu a donné lieu à de nombreuses publications. La crise des subprimes de 2008 l’a conduit à réunir des entrepreneurs européens pour investir dans l’immobilier aux États-Unis. Confronté à l’ampleur des dégâts, il a développé une méfiance envers la finance traditionnelle, ce qui a par la suite orienté son intérêt vers le Bitcoin. L’avocat international Jean-Marc Goossens est désormais une figure reconnue et régulièrement citée pour son expertise dans les domaines de la blockchain, des cryptomonnaies et de l’IA.

Membre des Barreaux de Bruxelles et International (IBA) de New York et Londres, il est également professeur invité à la Singapore Management University.

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