Avant même l’avènement des DAO, le sujet de la légitimité de la gouvernance a fait couler beaucoup d’encre. Quelle forme de gouvernance est la plus optimale ? La démocratie libérale est-elle une tyrannie de la minorité ? La démocratie sociale est-elle une tyrannie de la majorité ? Et puis, cette démocratie tant vantée ne cache-t-elle pas une structure hiérarchique ? Ces questions et bien d’autres sont aussi anciennes que les premières cités-États.
À chaque fois qu’un dirigeant a le pouvoir de gouverner au nom des autres, des aléas moraux se profilent à l’horizon. Les organisations autonomes décentralisées (DAO) tentent de résoudre ce problème séculaire de légitimité de la gouvernance. Dans ce guide, nous vous expliquerons de A à Z ce qu’est une DAO et comment ces organisations peuvent transformer nos modes de gouvernance.
Table des matières
- Qu’est-ce qu’une organisation autonome décentralisée (DAO) ?
- Les règles d’or des DAO
- Tout ce que vous devez savoir sur les DAO
- Démêler le vrai du faux
- DAO : un concept complexe
- Comment fonctionne une DAO ?
- Les avantages et les inconvénients des DAO
- Top 5 des organisations autonomes décentralisées (DAO)
- Gitcoin
- Aragon
- Digix
- MolochDAO
- Aave
- Les DAO sont-elles vraiment décentralisées ?
Qu’est-ce qu’une organisation autonome décentralisée (DAO) ?
Imaginez une centaine de survivants naufragés sur une île déserte. Afin de survivre, ils ont besoin de s’entraider et pour ce faire, ils doivent suivre certaines règles de base. Cependant, lorsqu’il y a des règles à respecter, il doit y avoir des dirigeants et des personnes qui surveillent leur application.
C’est ici qu’apparaît le dilemme du principal-agent (théorie de l’agence). Ceux qui prennent des décisions au nom des autres sont des “agents”, tandis que les autres sont le “principal”. Étant donné que le décideur, c’est-à-dire l’agent, répartit le risque de ses actions sur les autres, l’exposition du principal au risque est inévitablement augmentée. En effet, le principal doit subir de plein fouet les conséquences de toutes les décisions.
De plus, il arrive souvent que l’agent donne la priorité à ses intérêts personnels plutôt qu’à ceux du principal. Ceci est également inévitable car le principal ne peut pas suivre et contrôler entièrement les actions de l’agent. Alors que les contrats légaux et le système judiciaire atténuent ces aléas moraux dans les organisations traditionnelles, les organisations autonomes décentralisées (DAO) réduisent considérablement à la fois les risques et les coûts de leur gestion.
Les règles d’or des DAO
Une organisation autonome décentralisée utilise la blockchain pour permettre l’application automatique des règles et des protocoles. Bien sûr, les contrats intelligents (smart contracts) de la blockchain enregistrent ces règles, tandis que les jetons du réseau encouragent les utilisateurs à protéger le réseau et à voter sur ces règles.
Voici les trois étapes préalables à la création d’une DAO :
- Les développeurs doivent comprendre le problème de gouvernance qu’ils tentent de codifier. Ce, afin de créer un smart contract précis qui sert de base à la DAO.
- Ils doivent ensuite définir la tokénomique de la gouvernance, notamment la monétisation. Ce, afin qu’il y ait un juste équilibre entre les récompenses et le sanctionnement des comportements malveillants.
- Enfin, les développeurs lancent la DAO sur la blockchain, et s’attribuent idéalement la même quantité de jetons que les autres parties prenantes. De cette façon, il n’y aura pas de déséquilibre des pouvoirs. Cependant, la plupart des développeurs étalent le processus de distribution des tokens sur une période prolongée.
Par conséquent, les DAO sont à la fois transparentes et autonomes. Le nombre de jetons que l’on détient détermine nos droits de vote, ce qui permet de formuler de nouvelles propositions de gouvernance. Cela évite de créer un surplus de propositions et donc de causer une certaine instabilité. Ainsi, les propositions de gouvernance ne sont acceptées que lorsqu’elles sont approuvées par la majorité des parties prenantes.
Bien sûr, chaque DAO a des règles différentes en ce qui concerne la majorité et le processus de vote.
Tout ce que vous devez savoir sur les DAO
“The DAO”, qui est la première organisation autonome décentralisée a vu le jour en 2016 sur la blockchain Ethereum. Malheureusement, lors des premières phases de son développement, la DAO souffrait d’une faille qui aurait été exploitée par des pirates. Les membres de la DAO ont donc dû déclencher un hard fork d’Ethereum pour récupérer les 150 millions de dollars d’ETH bloqués dans les pools dédiés au développement de la blockchain.
Afin de récupérer ces fonds, certains développeurs d’Ethereum ont décidé de lancer un hard fork, c’est-à-dire l’Ethereum tel que nous le connaissons aujourd’hui. La blockchain Ethereum originale est cependant toujours disponible sous le nom d’Ethereum Classic avec son token ETC. Autant dire que ce fut un mauvais départ pour la réputation des DAO. Cependant, lorsque les protocoles DeFi ont vu le jour fin 2020, ces organisations sont devenues une partie intégrante de la finance décentralisée.
Démêler le vrai du faux
On a souvent tendance à confondre le concept de communauté ou de blockchain avec celui des DAO. Afin d’éviter toute confusion, voici quelques exemples qui vous aideront à comprendre les bases des DAO.
Bitcoin – représente les principes les plus élémentaires des DAO. À l’origine, une blockchain est un réseau P2P qui permet aux utilisateurs d’exécuter des transactions, les valider et ajouter de nouveaux blocs. En d’autres termes, Bitcoin est une organisation de nœuds autonome et décentralisée. Cependant, il ne s’agit pas d’une organisation autonome décentralisée car Bitcoin n’est pas géré par les règles de gouvernance complexes qui distinguent les DAO.
Ethereum – représente les blockchains de 2ème génération car il offre une fonctionnalité de smart contracts. Ces contrats intelligents sont des ingrédients nécessaires à la création d’une DAO. Néanmoins, Ethereum lui-même n’est pas une DAO mais plutôt un cadre pour développer des projets de DAO. Par exemple, Unreal Engine 4 n’est pas un jeu, mais plutôt un framework pour créer des jeux vidéo.
Uniswap – est le premier protocole DeFi à avoir introduit des teneurs de marché automatisés (AMM), ce qui lui a permis de devenir l’exchange décentralisé (DEX) le plus populaire sur le marché. Actuellement, Uniswap détient une TVL (valeur totale verrouillée) de 6,8 milliards de dollars TVL sur ses pools de liquidités. Le réseau possède également son propre jeton de gouvernance, appelé UNI, qui sert à voter sur les améliorations et à financer les pools de liquidités. En tant que tel, Uniswap est une DAO à part entière. Mais, il faut posséder 1% de l’offre totale d’UNI afin de pouvoir proposer de nouvelles règles de gouvernance ou de modifier celles qui existent déjà.
MakerDAO – est l’exemple le plus complet d’une DAO crypto. Il s’agit d’un protocole DeFi similaire à Uniswap et à Compound, sauf qu’il se focalise sur les prêts crypto. Ce protocole qui fonctionne également sur Ethereum a deux jetons : le stablecoin DAI et son token de gouvernance MKR. La Fondation MakerDAO a distribué des jetons MKR pour récompenser les contributeurs, encourager la participation aux votes et décentraliser le processus de gouvernance. En effet, le but de la fondation est de s’abolir en distribuant tous les jetons aux membres du réseau.
DAO : un concept complexe
Lorsque l’on compare Uniswap avec MakerDAO, on se rend compte que les règles font toute la différence. En exigeant que les utilisateurs possèdent au moins 1% de l’offre totale d’UNI pour participer à la gouvernance, Uniswap a empêché 90% de ses investisseurs de prendre part au développement du réseau. En revanche, la fondation de MakerDAO mettra fin à ses activités dans les prochains mois.
Par conséquent, on peut dire qu’une vraie organisation autonome décentralisée doit être entièrement décentralisée et sans aucun superviseur central. Évidemment, toutes les DAO démarrent dans un système semi-centralisé. Au début, l’équipe de développeurs principale doit s’occuper du protocole au fur et à mesure qu’il grandit. Ensuite, de nouveaux utilisateurs arrivent dans l’organisation. Bien sûr, plus le nombre d’utilisateurs augmente, plus le pool de parties prenantes s’élargit, ce qui conduit la DAO vers une décentralisation complète.
Comment fonctionne une DAO ?
Supposons que vous travaillez dans une entreprise qui développe des jeux vidéo. Comme vous le savez, ce secteur dépend fortement du talent technique et artistique. De plus, en raison de sa complexité, le développement de jeux vidéo souffre souvent de ce que l’on appelle le “fluage des fonctionnalités”.
En termes simples, le fluage des fonctionnalités (en anglais, feature creep) désigne un problème organisationnel causé par l’ajout continu de nouvelles fonctionnalités et le dépassement des exigences initiales. Cela se traduit souvent par des options inutiles, des frais élevés et un temps de développement considérablement prolongé. Le jeu Star Citizen est l’un des meilleurs exemples de ce problème.
Afin d’éviter une telle situation, le studio de jeux pourrait définir des règles de financement avec une DAO crypto basée sur la blockchain Ethereum. Il peut, par exemple, fixer un seuil budgétaire et verrouiller le pool de financement des smart contracts. Ensuite, chaque action — modélisation 3D, programmation, son, voix off, etc. — est automatiquement évaluée par rapport au budget. Ce, en fonction des tarifs en vigueur de l’organisation.
Ainsi, chaque membre de l’équipe recevra des jetons pour voter sur les modifications. Les chefs d’équipe recevront une plus grande quantité de tokens. Si leurs votes dépassent le seuil budgétaire, la modification ne pourra pas être appliquée. De cette, l’équipe sera consciente de l’ampleur du développement qui peut être réalisé de manière rentable.
De même, les DAO crypto peuvent servir à destituer les PDG de leurs fonctions, mutualiser les ressources pour recruter des prestataires ou des freelancers, payer des primes, etc.
Les avantages et les inconvénients des DAO
Certaines personnes pourraient dire que la répartition équitable des droits de vote n’est pas toujours bénéfique. Il suffit d’étudier brièvement le principe de Pareto pour comprendre pourquoi ce serait le cas. En effet, l’économiste Vilfredo Pareto a remarqué une tendance récurrente lors de ses études de différents secteurs de l’économie.
Concrètement, le principe de Pareto quantifie ces observations selon une règle de 80/20. Cela signifie que 80 % des conséquences proviennent de 20 % des causes. En termes d’organisation, les 20% à fort impact (vital few) sont les responsables du succès. Vous avez probablement déjà remarqué cette tendance lors de vos projets collectifs à l’école ou à l’université.
Par conséquent, les DAO devraient tenir compte du fait que tous les votes ne peuvent pas être comptabilisés de la même façon. Cela se traduirait par le fait que certains utilisateurs auraient plus de jetons que la majorité, ce qui diminuerait la décentralisation. MIT Technology Review est arrivé à une conclusion similaire en 2016.
Un autre inconvénient potentiel des DAO est le fait que leurs règles pourraient s’étendre à de nombreuses juridictions. Ainsi, si un problème survient et qu’il ne peut être résolu par un vote des détenteurs de jetons, la DAO devrait s’engager dans une affaire judiciaire longue et complexe.
Néanmoins, un smart contract bien conçu permet aux DAO d’offrir aux institutions un moyen de gouvernance simple et transparent. Ceci est particulièrement valable pour les entités dont la plupart des membres ne se connaissent pas. Le scénario est mieux illustré dans les plus grandes organisations où les gens ne se connaissent pas — les nations. Utiliser une DAO crypto pour les votes peut également garantir la transparence et la légitimité des élections, chose qui a été démontrée à maintes reprises.
Top 5 des organisations autonomes décentralisées (DAO)
Outre MakerDAO, qui est la plus grande organisation du secteur des DAO, voici quelques DAO très intéressantes qui méritent que l’on s’y intéresse.
1- Gitcoin
Contrairement aux protocoles DeFi classiques, Gitcoin ne se focalise pas sur le yield farming, mais cherche plutôt à rassembler les développeurs blockchain. Il s’agit en effet d’une plateforme similaire à UpWork ou à Fiverr, sauf qu’elle est basée sur la blockhain. Pour aider ces développeurs à obtenir des financements, Gitcoin a lancé des “Gitcoin Grants” (subventions Gitcoin). En utilisant des jetons EIP-1337 pour le vote quadratique, la plateforme convertit tous les dons reçus en Gitcoin Grants.
Ensuite, chaque don est pondéré par rapport au nombre de donateurs des projets blockchain, ce qui constitue un autre exemple d’utilisation créative de l’organisation autonome décentralisée. Ainsi, plutôt que de favoriser les projets financés par une minorité de donateurs fortunés, Gitcoin Grants favorise les projets qui reçoivent le plus grand engagement communautaire.
2- Aragon
Aragon est à la fois une DAO et une plateforme de création de DAO personnalisés. Cela la rend extrêmement utile pour les utilisateurs qui n’ont pas beaucoup de connaissances en programmation. En effet, Aragon s’occupe des smart contracts et de l’interface, et vous laisse le soin de gérer votre organisation.
De plus, la DAO propose également une plateforme de financement participatif appelée Aragon Fundraising (anciennement appelé Rucher). Lancé en avril, cet outil se distingue par ses contrats intelligents similaires à des obligations. Ce sont des AMM où les utilisateurs peuvent déposer des garanties en échange d’un jeton spécifique à l’organisation. Cela fait d’Aragon un écosystème DAO avec un large éventail de cas d’utilisation.
3- Digix
Avez-vous déjà pensé à acheter de l’or, mais sans vous soucier des problèmes pratiques liés à sa sécurité ? Digix peut vous aider en tokenisant cet or. En effet, chaque jeton DGX vaut 1 gramme d’or. Digix a été l’un des tout premiers projets lancés via une ICO sur Ethereum, ce qui signifie qu’il a déjà fait ses preuves.
L’or est précieusement gardé dans un coffre-fort à Singapour, et fait régulièrement l’objet d’un audit du Bureau Veritas. Mis à part le token DGX qui représente la propriété de l’or, le jeton DGD permet à ses détenteurs de voter sur la façon dont l’entreprise utilise les fonds pour ses projets futurs. De plus, les utilisateurs reçoivent des DGD sous forme de dividendes trimestriels.
4- MolochDAO
Lorsque Ethereum a terminé son hard fork London, il a franchi une nouvelle étape dans sa transition vers la preuve d’enjeu (PoS). De tous les cinq changements apportés, l’introduction du mécanisme de combustion des frais est le plus important, car il permet à Ethereum de devenir déflationniste et de brûler 3,26 ETH par minute.
L’objectif ultime de MolochDAO est d’offrir des subventions ETH 2.0. Afin de rejoindre MolochDAO, vous devez être invité par l’un de ses membres. En outre, chaque membre détient des droits de vote égaux : 1 part — 1 voix. Ces parts ne sont ni transférables ni échangeables entre les membres et sont utilisées pour voter/financer des propositions.
5- Aave
Avec une TVL de plus de 15 milliards de dollars, Aave est actuellement le premier protocole de prêts DeFi sur le marché. Si vous souhaitez l’utiliser pour prêter de l’argent, le protocole émettra des “aTokens” ERC-20 avec un ratio de 1:1 par rapport aux actifs déposés. Cela offre aux utilisateurs un taux d’intérêt composé et stable. De plus, Aave propose des flash loans dans lesquels l’emprunt et le remboursement doivent avoir lieu dans la même transaction.
Ces flash loans permettent aux développeurs d’expérimenter et de combiner de nouveaux cas d’utilisation de la DeFi. Le jeton de gouvernance LEND (ETHLend) d’Aave sert à la fois à réduire les frais et à voter sur les propositions d’amélioration d’Aave (AIP). Notez que vous même si vous déposez vos tokens LEND en guise de garantie, vous aurez toujours le droit de participer aux votes.
Les DAO sont-elles vraiment décentralisées ?
Les DAO ouvrent la voie à des systèmes qui ne dépendent pas de la confiance, mais elles ne sont pas toujours purement décentralisées. Cependant, mis à part les élections générales, il n’y a pas beaucoup de situations dans lesquelles une répartition équitable des voix serait bénéfique.
Ainsi, les DAO sont une forme de décentralisation. En effet, la délimitation logique des règles s’avère beaucoup plus importante que la décentralisation géographique. Jusqu’à présent, le secteur des DAO en est encore à ses débuts et ses résultats ne sont pas encore palpables. Ceci dit, Aragon est actuellement, la meilleure organisation autonome décentralisée en termes d’utilisation de règles pour la construction d’une entité totalement indépendante de la confiance.
Avis de non-responsabilité
Avis de non-responsabilité : Conformément aux directives de The Trust Project, le contenu éducatif de ce site est proposé de bonne foi et à des fins d'information générale uniquement. BeInCrypto a pour priorité de fournir des informations de haute qualité, en consacrant du temps à la recherche et à la création d'un contenu informatif pour les lecteurs. Bien que des partenaires puissent récompenser l'entreprise avec des commissions pour des placements dans les articles, ces commissions n'influencent pas le processus de création de contenu impartial, honnête et utile. Toute action entreprise par le lecteur sur la base de ces informations se fait strictement à ses propres risques.